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C’est une rude tâche que celle que nous avons entreprise.

— Comment diable voulez-vous que nous sachions ce que fait Fortunio ? Il n’y a aucune raison pour que nous soyons mieux informé que vous. — Nous n’avons vu Fortunio qu’une seule fois à un souper, et cette idée malencontreuse nous est passée par la tête de le prendre pour notre héros, espérant qu’un jeune homme de si bonne mine ne pouvait manquer d’aventures romanesques. Le bon accueil que tout le monde lui faisait, l’intérêt mystérieux qui s’attachait à sa personne, quelques mots étranges qu’il avait laissés tomber entre un sourire et un toast, nous avaient singulièrement prévenu en sa faveur. Ah ! Fortunio, comme tu nous as trompé ! — Nous espérions n’avoir qu’à écrire sous ta dictée une histoire merveilleuse, pleine de péripéties surprenantes. — Au contraire, il nous faut tout tirer de notre propre fonds, et nous creuser la tête pour faire patienter le lecteur jusqu’à ce qu’il te plaise de vouloir bien te présenter et saluer la compagnie. — Nous t’avons fait beau, spirituel, généreux, riche à millions, mystérieux, noble, bien chaussé, bien cravaté, dons rares et précieux ! — Quand tu aurais eu une fée pour marraine, tu n’aurais pas été mieux doué ; combien de pages nous as-tu données pour cela, ingrat Fortunio ? — une douzaine tout au plus. Ô férocité hyrcanienne, ô monstruosité