— Causons un brin, mais tout bas, l’officier de quart nous enlèverait la bouteille.
— Qu’il y vienne ! fis-je presque furieux, et saisissant la bouteille j’en appliquai le goulot à mes lèvres, et je bus tout ce qu’elle contenait.
Il fallait une tête solide et un coffre cuirassé comme le mien pour y résister. Mon sang bouillait, j’avais des mouvements convulsifs, comme un poisson qui sort de l’eau, et, par malheur, je comprenais ce qu’on me disait :
— Vois-tu, poursuivit le Génois, nous sommes sur un bâtiment pirate. Le Capitaine est un bandit qui vient de voler cinq cent mille francs au gouverneur de Goa. Nous allons à Ceylan, où il nous tirera sa révérence sans même nous payer nos journées, et si nous bougeons, si nous avons l’air de nous plaindre, à la mer !
— Cré coquin, fis-je, je le démolirai.
— Chut ! Il est armé en guerre parce qu’on a envoyé un vaisseau à sa poursuite. Il veut pouvoir se défendre et compte sur nous pour cela. Ce serait rendre service à son pays que de le livrer au lieu de le défendre.
— Il faut qu’il s’explique avant.
— Ne vois-tu pas comme on nous regarde avec défiance ? On nous surveille pour que nous ne fassions pas de signal à la côte ou aux vaisseaux qui passent.
En effet nous descendions la côte de Malabar, prenant les amures à tribord pendant la brise du large et à bâbord pendant celle de terre.
— On ne nous donne que peu de vin et pas d’eau-de-vie, continua le Génois, on nous prive même du nécessaire, et le capitaine mettra l’argent dans sa poche. Plus nous serons mal nourris, plus il sera riche.