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rabamor.

tentai, car ici se place une des aventures les plus terribles de ma vie de marin.

Le temps était beau, la nuit calme et l’air parfumé par l’odeur des plantes aromatiques, c’était une délicieuse promenade à faire. Restait à trouver mon chemin. La lune qui brillait dans son plein me permit de le reconnaître, et je fus bientôt en dehors de la ville où je reconnus les sentiers parcourus la veille avec mon pauvre Rouget.

Par malheur, je ne savais pas que, la nuit, on entourait le faubourg d’une palissade de bois protégée par des sentinelles. Cette frêle enceinte de bambou ne m’inquiétait pas, mais la première sentinelle qui me cria : « Qui vive ? » me gênait beaucoup. Le soldat avait d’autant moins l’air commode qu’après quelques mots échangés, comme nous ne nous comprenions pas du tout, lui parlant en malais, et moi en patois anglais, il arma son mousquet et me mit en joue.

Je n’eus que le temps de faire un saut de côté ; la balle me siffla aux oreilles ; mais, sans perdre de temps, je bondis sur le soldat et, le saisissant à la gorge, j’allais lui faire passer un mauvais quart d’heure, quand j’entendis le pas précipité des autres sentinelles qui accouraient au secours de leur camarade. Je lâchai le soldat et me sauvai à toutes jambes dans la direction de la ville comme un homme qui se rejette dans un chemin déjà parcouru.

Après un quart d’heure de course furibonde, je fis un crochet et me dirigeai vers les bords de la mer. Tout à coup une ombre se dessina derrière moi. J’eus beau faire des tours et des détours, l’ombre ne me perdit pas de vue. Je l’attendis. L’ombre disparut. Enfin, j’arrivai sur un monticule de sable qui dominait le port, et je m’appuyai contre le mur d’un chantier que je voyais en contre-bas avec ses outils, ses charpentes et un vaisseau à moitié démoli, sur le bord d’un large canal, très-