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le père la gloire.

une demi-tonne d’eau, puis il rejette cette eau par les évents et avale avec sa langue le lait qui s’attache aux crins de ses fanons.

— C’est admirable ! ne put s’empêcher de crier Paul.

— Ce qu’il y a de plus admirable, c’est l’amour de la baleine pour son cafre. Elle se fait tuer plutôt que d’abandonner sa progéniture. Pour avoir la mère, on commence par harponner l’enfant. Aussi le capitaine recommanda-t-il à ses hommes de ne viser que le baleineau.

— Voyez-vous, enfants, disait-il tout bas comme si la baleine eût dû l’entendre, la mère oublie le danger qui la menace pour suivre les traces du cafre qu’on a harponné, elle flaire les vagues que le cadavre traverse, elle reconnaît les gouttes de son propre sang qui ne s’est pas encore mélangé avec l’eau de la mer, et folle, éperdue, rôdant le long, du navire sur lequel on hisse son petit, elle reçoit un coup de lance en cherchant à escalader les parois du navire.

Ah ! s’il avait su ! mais on rame doucement, sans parler, pour approcher la baleine qui, toute à ses soins maternels, n’entend pas le danger. Tout à coup le harpon siffle et s’enfonce dans les côtes du baleineau qui veut fuir ; mais désormais captif, vaincu, voit sa dernière heure arriver. La baleine au désespoir essaye de dégager son petit, qui perd avec son sang ses forces et sa vie. Un harpon lancé de la deuxième pirogue lui entre sur la tête ou plutôt s’y brise et elle s’en dégage par une secousse effrayante. Puis, voyant son dévouement inutile, elle plonge et disparaît.

— Tiens, c’est drôle, fit le capitaine ; enfants, méfions-nous, et au navire !

La baleine reparaît comme pour nous couper la retraite. De ses évents ouverts s’échappent d’immenses jets d’eau qui font tournoyer nos barques. On vire de bord pour se préparer à une nouvelle lutte, quand nous voyons avec terreur la baleine partir et s’élancer de toute la rapidité de sa force. Où allait-elle ? sur la