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six semaines dans un phare.

non, réponds sans louvoyer et sans embardées. C’est la fortune que je te propose.

— J’accepte à deux conditions. D’abord je veux savoir qui vous êtes.

— Tu le sauras.

— Et vos conditions.

— Les voici. Tous les membres de ta famille et toi-même, capitaine, après la mort vous deviendrez baleines.

— Et je ferai fortune avant de mourir ?

— Oui ; et même tu ne mourras que lorsqu’il y aura quelqu’un de mort dans ta famille, et que, sans le savoir, tu auras harponné ce personnage devenu baleine ou cachalot.

— Marché conclu ! Et vous êtes ?

— Le grand baleinier du diable ! dit l’homme noir et vert qui disparut dans la vague.

Dès le lendemain, l’armateur avait remis au capitaine son commandement du Sag-Harbourg. Huit mois après, il revint avec son navire plein d’huile jusque par-dessus les barres du cacatois ; et, le voyage suivant, il lui fallut une cale supplémentaire dans chaque hune. Quatre voyages firent sa fortune. Il voulait déjà se mettre à quai, quand le choléra emporta ses quatre enfants et son vieux père. Il en devint maigre au point qu’on le croyait perdu, mais sa femme et ses amis lui ayant conseillé de prendre la mer pour se distraire, il céda à leurs conseils et partit, non sans se faire le raisonnement suivant :

— L’aîné de mes enfants avait quatre ans ; puisqu’ils sont devenus baleines, ce ne sont encore que des baleineaux, des cafres qu’on appelle. Eh bien ! je ne piquerai pas de cafres. Quant à mon pauvre père, il était bossu de son vivant, je ne pêcherai pas de baleine à bosse, d’ailleurs elles sont trop maigres, l’équipage n’y toucherait pas. Il n’y a donc pas de danger que je tue