Page:Garnier - Six semaines dans un phare, 1862.djvu/139

Cette page a été validée par deux contributeurs.
129
le père la gloire.

raison, à décrire. Je quitterais même la pêche des baleines pour un sujet plus intéressant, mais j’en ai besoin pour arriver au point capital de ma vie. Donc, un peu de patience.

Le lendemain, ce fameux lendemain où je devais faire partie de la pêche, nous ne vîmes rien. Pendant huit jours, tempête. Le navire danse presque à sec de toile, et se tient à peine debout à la lame avec la barre dessous et le petit foc. Nous sommes secoués d’une si rude façon que j’en ai le mal de mer. Ce qui me console, c’est que les plus vieux matelots l’ont aussi. Bref, nous louvoyons pendant un mois, sans voir de baleine. Que dis-je ? on en voyait bien assez, mais on ne pouvait les approcher. Il faisait toujours un temps de chien, comme l’humeur du capitaine. Il fallait voir comme on était triste à bord. Moi, je n’en étais pas très-fâché, la partie de pêche dans laquelle je devais débuter ne me plaisant que tout juste. Or, il y en eut un qui s’aperçut de cette joie rentrée et me la fit payer cher. C’était le maître cook et Dieu sait, les biscuits pourris et les fayots qu’il me fit manger, sans compter qu’à chaque distribution, il me faisait porter la gamelle.

Ce maître cook était un grand conteur très-écouté à bord même par les officiers. Un soir que nous étions plus fatigués de ne rien faire que si nous avions passé la journée à manier l’aviron, et que forcément consignés à bord, occupés soit à faire la lessive, soit à raccommoder notre linge, nous cherchions à combattre l’ennemi, il nous cria à brûle-pourpoint :

— Que l’arc-en-ciel me serve de cravate, si vous en tuez une seule de ces baleines !

— Faut croire qu’elles ont la cale bondée de cailloux ! dis-je au hasard.

— Silence ! faible chenapan de novice, me cria le maître cook en me regardant de travers. Et voulez-vous que je vous dise pourquoi vous n’en tuerez point ?