Page:Garneau - Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours, tome III, 1848.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
HISTOIRE

rent à la plus profonde douleur. En violation de la promesse qui leur avait été faite, et, par un rafinement de barbarie sans exemple, les mêmes familles furent séparées et dispersées sur différens vaisseaux. Pour les embarquer, on rangea les prisonniers sur six de front, les jeunes gens en tête. Ceux-ci ayant refusé de marcher, réclamant l’exécution de la promesse d’être embarqués avec leurs parens, on leur répondit en faisant avancer contre eux les soldats la bayonnette croisée. Le chemin de la chapelle du Grand-Pré à la rivière Gaspareaux avait un mille de longueur ; il était bordé des deux côtés de femmes et d’enfans qui, à genoux et fondant en larmes, les encourageaient en leur adressant leurs bénédictions. Cette lugubre procession défilait lentement en priant et en chantant des hymnes. Les chefs de famille marchaient après les jeunes gens. Enfin la procession atteignit le rivage. Les hommes furent mis sur des vaisseaux, les femmes et les enfans sur d’autres, pêle-mêle, sans qu’on prît le moindre soin pour leur commodité. Des gouvernemens ont ordonné des actes de cruauté dans un mouvement spontané de colère ; mais il n’y a pas d’exemple dans les temps modernes de châtiment infligé sur tout un peuple avec autant de calcul, de barbarie et de froideur, que celui dont il est question en ce moment.