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LE HUIT-FOIS MALHEUREUX

minimes parcelles qu’il échangerait contre de la mon­naie de cuivre, afin, lui dit-elle, « que tu ne sois pas obligé de te rendre souvent à la ville et de me laisser seule ».

Le Huit-fois malheureux plaça l’or sur son âne et se mit en route. Il devait traverser en chemin un ruisseau d’ordinaire peu large et sans profondeur, mais qu’une pluie torrentielle venait de grossir démesurément. En le traversant, l’âne et la charge y tombèrent.

« Non ! s’écria le Huit-fois malheureux dans un accès de désespoir. Je ne puis continuer à mener une existence aussi malchanceuse. J’ai déjà rendu ma femme trop malheureuse. Si je ne puis retrouver son or, je renonce à la vie. »

Il se jeta à l’eau, plongea et se noya. Longtemps, Diou-Si attendit Minoran ; enfin, anxieuse, perdant patience, elle se mit elle-même à sa recherche.

Quand elle atteignit le ruisseau, — redevenu mince filet d’eau, — elle aperçut sur le bord le lingot d’or et le cadavre de son mari. Rien ne put apaiser sa douleur. Elle pleura, pleura son Huit-fois malheureux et, avec lui, tous les Huit-fois malheureux de la terre.

Puis, ses forces la trahissant, elle s’assit et mourut en pleurant. On appela ruisseau des pleurs le ruisseau qu’alimentèrent ses larmes.

Un marchand qui se rendait en ville pour ses affaires se trompa de route et arriva juste à l’endroit où gisait la pauvre Diou-Si. Apercevant une femme, il descendit de cheval et passa à pied devant elle, en signe de res-­