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quelque peu les circonstances de la vie de cet ornement du trône du palais de la gaieté et de la pleine satisfaction.

« Aux jours où Alamguir[1] qui habite l’immortalité, renversa les Adil Schahis et les Nizam Schahis[2], et s’empara de la province (souba) du Décan, après beaucoup de perturbations, Abu’lhaçan Tana Schah fut détenu prisonnier. La capricieuse fortune se tourna ainsi contre lui et lui montra tout autre chose que le plaisir et les divertissements. La joie de la nuit fut troublée, et, au lieu de la réunion des viveurs qui l’entourait auparavant, il n’eut que le cercle du deuil. Toutefois, Tana se soumit à la dureté de la position que lui avait faite Alamguir. Il lui envoya dire cependant, avec de vives instances relativement à l’usage de la pipe : Je l’aime beaucoup ; si on veut me laisser fumer, ce sera l’essence de la faveur.

» Comme ce padschah (Tana) était ami du plaisir et restait plongé dans l’ivresse de la bonne chère pendant les huit pahar[3] le hucca (pipe) ne s’éloignait pas un instant de sa bouche ; et il avait l’habitude après avoir fumé chaque pipe d’en rafraîchir le fourneau par une fiole d’eau de rose[4], puis son hucca bardar (domestique chargé du soin de la pipe) trempait d’abord le tabac dans de l’eau de saule[5] Adonné qu’il était à cette jouissance, il dormait peu pendant la nuit, et il consumait, entre la nuit et le jour, des

  1. C’est-à-dire « conquérant du monde », surnom du sultan mogol plus connu sous celui d’Aurangzeb.
  2. C’est-à-dire les rois de ces dynasties.
  3. C’est-à-dire « jour et nuit », le pahar étant la division par quart du jour et de la nuit.
  4. Les Indiens font passer à travers de l’eau fraîche la fumée pour la rafraîchir. Il parait que Tana ne se contentait pas de cette superfluité épicurienne.
  5. Sur cette eau, voyez ma note dans les Oiseaux et les Fleurs, p. 144.