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TATERLEY
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Le bonheur du jeune homme, auquel il assistait, l’étrange situation dans laquelle il se trouvait sous le nom de Taterley, l’aveu d’un amour qui n’avait pas été sien, tout cela chassait ce qui pouvait lui rester de dureté dans le cœur. Il se leva doucement, traversa la chambre obscurcie et s’assit sur le sofa, près de Donald, absorbé dans ses rêves.

— Et qu’allez-vous faire ? lui dit-il enfin d’un ton posé.

— Je ne comprends pas, dit Donald en regardant autour de lui.

— À propos de cette aventure, à propos de miss Tarraut ?…

— Que puis-je faire ? Tous deux nous sommes misérables comme des rats d’église, Taterley. Je travaille en ce moment le plus possible, mais puis-je lui demander de partager le peu que j’ai, le puis-je ?

— Son sort est-il plus enviable ? Cette enfant vous dit qu’elle vous aime, qu’elle se fie à vous et vous me dites que vous ne savez pas quoi faire, quelle honte, monsieur !

Caleb se leva tout excité et se promena dans la pièce. Donald le dévisagea, tout étonné.

— Mais, Taterley, j’ai beau l’aimer de tout mon cœur, que puis-je faire ? Dites-le-moi ! Aidez-moi !

Caleb s’arrêta et regarda le jeune homme, à peine éclairé par la clarté de la fenêtre.

— Vous serez riche un jour, lui dit-il.

— Mais oui, ce n’est qu’une question de temps, affirma Donald. Eh bien ?

— Si vous étiez riche ce soir, que feriez-vous ?

— Je l’épouserais et je lui enlèverais soucis et chagrins pour toujours.

— Et vous croyez qu’elle vous aimerait davantage si vous étiez riche ? demanda Caleb.

— Vous savez bien que non, Taterley, comment suggérer une telle chose ?

— Si vous étiez malade ou malheureux, ou qu’il vous arrivât quelque chose, pensez-vous qu’elle hésiterait à venir à vous, même si tout le monde était entre vous, le pensez-vous ?

— Pourquoi me posez-vous de telles questions ? Vous savez bien que rien ne l’empêcherait de venir à moi. Vous l’avez vue vous-même, vous l’avez entendue parler. Y a-t-il une autre femme semblable à elle ?

— Et cependant vous la laissez se morfondre et se ronger le cœur ? dit Caleb avec indignation. Et, sachant tout cela, vous me demandez ce que vous devez faire.

Il se détourna avec un geste de mépris.

Le jeune homme demeura silencieux pendant un moment. Puis, il se tourna vers Caleb, le visage décidé.

— Par Jupiter ! Taterley, vous avez raison, toujours raison. Je ne la laisserai pas seule avec cette vieille tante un jour de plus, du moins pas plus longtemps qu’il est possible. Quoi ! nous aimant comme nous nous aimons, le sort doit nous favoriser. Rien ne peut être contre nous, n’est-ce pas, Taterley ? Il faut que nous réussissions, d’une manière ou d’une autre ; avec elle à côté de moi, la chérie, il n’est rien que je ne puisse accomplir, tout doit nous réussir. Vous êtes un être merveilleux, Taterley !

Ils parlèrent de cela toute la nuit, tout leur semblait aisé en paroles, à l’un d’eux du moins. Comme cet obstacle était facile à renverser, et comme il serait aisé de la franchir ! Donald parlait tout le temps. Caleb était un auditeur admirable, amené à tout espérer, grâce à la confiance débordante du jeune homme, le cœur tout bouleversé en songeant à la réalisation prochaine de son cher roman.

Et quand, vers le matin seulement, Donald alla se coucher et que Caleb s’étendit sur le lit improvisé qu’on lui avait installé sur le sofa de l’atelier, les