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TATERLEY
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Caleb la regarda fixement pendant un moment.

— Oui, dit-il, j’ai ici un document pour lequel il est nécessaire que deux personnes m’assistent pour pouvoir témoigner de ma signature. Je désire que vous et Taterley soyez témoins.

Taterley se préparait à quitter la pièce, mais en entendant son nom, il revint lentement vers la table.

— Vous m’excuserez, monsieur, je suis sûre, mais je ne suis qu’une pauvre et faible femme et ma famille dépend de moi, j’espère qu’il n’y a rien…

— Rien qui puisse vous causer de l’ennui, voulez-vous dire ? demanda Caleb d’un ton raide. Certainement non, ce papier est tout bonnement mon testament et il est nécessaire que vous soyiez témoins de sa signature. Vous ne saurez rien de ce qu’il contient, ce n’est qu’une simple formalité.

Et, tout en parlant, il s’était assis à la table où il écrivit rapidement, d’une main ferme, son nom au bas du papier, puis il leur désigna la place où ils devaient apposer leurs signatures et les regarda écrire, les sourcils froncés.

La femme déposa doucement la plume et s’en alla sans mot dire, heureuse de quitter cette pièce.

Mais Taterley demeura hésitant près de la table et ses yeux allaient de Caleb au papier.

— Eh bien ? dit Caleb en lui jetant un regard d’interrogation irrité.

Taterley posa une main tremblante sur le taffetas d’Angleterre noir, qui voilait son œil borgne, sans répondre.

— Que voulez-vous ? demanda Caleb, furieux.

— Vous… vous avez fait un nouveau testament ? dit Taterley.

— Ne vous l’ai-je pas dit ? demanda Caleb. Vous attendiez-vous à un legs ?

— Non, non, Dieu m’en garde, dit Taterley vivement, mais pour le garçon ! Son garçon !

— En ce qui me concerne, il a cessé d’exister.

— Mais pensez que c’est son fils, son fils à elle, dit Taterley faiblement.

— Peu m’importe de qui il est le fils, dit Caleb, implacable. J’en ai fini avec lui, il peut crever de faim, je n’en ai aucune espèce de souci, mêlez-vous de vos affaires, Taterley et laissez-moi conduire les miennes à mon idée.

Mais Taterley s’approcha ; ses lèvres tremblaient.

— Caleb !

Ce nom semblait si étrange sortant de ces lèvres que Caleb se redressa en sursaut.

— Caleb, dans le vieux temps, il y a bien longtemps, quand nous étions encore, nous, d’heureux jeunes gens, quand elle était encore, elle, une fillette aux cheveux d’or, riant, le cœur léger, vous souvenez-vous de cela ? Je ne voulais jamais vous rappeler ces jours-là, mais il le faut, ce soir, je le dois.

— Continuez, fit Caleb, d’un ton glacial.

— Je… je l’aimais. Oui, je l’aimais profondément. Nous l’aimions tous, mais moi plus que tous. Elle est dans sa tombe à présent et elle n’a jamais fait attention à moi. J’aurais donné mon âme pour elle, Caleb. Elle est partie et son enfant unique reste tout seul. Et vous lui avez promis, Caleb, vous lui avez promis à son lit de mort, vous me l’avez dit, de vous occuper de lui.

— Et puis, après ? demanda la voix dure de Caleb.

Taterley était à genoux près de la table, ses mains crispées avaient enfin atteint le bras de son maître, l’émotion faisait tressaillir toutes les rides de son vieux visage.

— Caleb, voyez-vous, je suis à genoux, à genoux, Caleb. Brûlez ce testament, tenez votre promesse. Ne faites aucun mal à son fils, Caleb