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le fort et le château saint-louis

Le lecteur connaît déjà les faits principaux de cette lutte inégale dans laquelle l’héroïsme français sut tenir si longtemps contre le nombre, l’or, la valeur et les gros vaisseaux. Ce serait aussi trop nous éloigner de notre sujet que de parler des éléments de discorde qui régnaient dans les hautes sphères du gouvernement civil et de l’armée, de rappeler les fêtes auxquelles on se livrait à Québec et à Montréal pendant les hivers de 1756-57, 1757-58 et même 1758-59, alors que les classes populaires de la colonie souffraient de toutes sortes de privations.

Hâtons-nous de dire que les habitants du château Saint-Louis, à Québec, et du château Vaudreuil, à Montréal, ne prenaient aucune part à ces fêtes insensées. Le gouverneur-général était un homme rangé, dévoué à son pays et digne de toute estime. Il possédait des qualités qui, en d’autres circonstances, eussent suffi pour le rendre illustre et faire le bonheur du peuple canadien. Sa correspondance révèle un jugement droit, un grand désintéressement et une inaltérable dignité ; mais il eut tout contre lui, tout : — quatre années de famine, les fautes passées de la politique franco-canadienne, l’indiscrétion et l’esprit d’insubordination de plusieurs de ceux qui l’entouraient, et par dessus tout, l’incroyable aveuglement du gouvernement de l’ancienne France et la ferme détermination de

    « Qu’a fait le général ? Qu’ont fait les soldats ? À quoi ont servi ces arbres énormes renversés ? Voici le vrai étendard ! Voici le vainqueur ! Ici, c’est Dieu, c’est Dieu même qui triomphe ! »

    Pendant ce temps-là, le cynique Voltaire ciselait ses odieuses rimes en l’honneur de Frédéric II, vainqueur des Français, et Antoinette Poisson recevait les hommages des courtisans de Versailles. Où était alors la France chrétienne, la France de Clovis et de saint Louis ? Sans doute on la retrouvait encore au sein de bien des foyers dans notre ancienne mère-patrie ; mais c’est d’un incomparable éclat qu’elle brillait dans cette scène grandiose des bords du lac Champlain, au milieu de ces vastes contrées du Nouveau-Monde que ses enfants avaient colonisées, évangélisées et fécondées de leur sang.