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Ai-je été malheureux ? Je n’en sais plus rien, puisque je te vois, puisque je t’aime.

Le temps passait, et Mme  Fauvel ne s’en apercevait pas. Raoul, heureusement, veillait.

— Sept heures ! s’écria-t-il tout à coup.

Cette exclamation ramena brusquement Mme  Fauvel au sentiment de la réalité. Sept heures !… Son absence si longue serait peut-être remarquée ?

— Te reverrai-je, ma mère ? demanda Raoul au moment où ils se séparaient ?

— Oh ! oui, répondit-elle avec l’accent d’une tendresse folle, oui, souvent, tous les jours, demain…

C’était, depuis qu’elle était mariée, la première fois que Mme  Fauvel s’apercevait qu’elle n’était pas absolument maîtresse de ses actions. Jamais encore elle n’avait eu occasion de souhaiter une liberté sans contrôle.

C’est son âme même qu’elle laissait dans cette chambre de l’hôtel du Louvre, où elle venait de retrouver un fils. Et il lui fallait l’abandonner, elle était condamnée à cet intolérable supplice de composer son visage, de cacher cet événement immense qui bouleversait sa vie.

Ayant eu quelque peine à se procurer un fiacre pour le retour, il était plus de sept heures et demie quand elle arriva rue de Provence où on l’attendait pour se mettre à table.

M. Fauvel l’ayant plaisantée de ce retard, elle le trouva commun, vulgaire et même un peu niais. Telles sont les révolutions soudaines de la passion, qu’elle le jugeait presque ridicule pour cette confiance sans bornes qu’il avait en elle.

Et c’est avec un calme imperturbable, sans trouble, presque sans efforts, qu’elle, d’ordinaire si craintive, elle répondit à ces plaisanteries.

Si enivrantes avaient été ses sensations près de Raoul, que dans son délire, elle était incapable de rien désirer, de rien rêver au-delà du renouvellement de ces émotions délicieuses.

Plus d’épouse dévouée, plus de mère de famille in-