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— Il est malheureux, avait dit le vieux serviteur, qu’un cavalier aussi habile que vous soit tombé juste au moment où le salut de votre frère dépendait de votre manière de conduire votre cheval. La Verdure, lui, n’est pas tombé.

L’allusion avait si bien atteint le jeune homme, qu’il avait pâli, et d’une voix terrible s’était écrié.

— Misérable ! que veux-tu dire ?

— Vous le savez bien, monsieur le vicomte, avait insisté Saint-Jean.

— Non !… parle, explique-toi.

Le domestique n’avait répondu que par un regard, mais il était si cruellement significatif, que Louis s’était précipité, la cravache levée, sur Saint-Jean, et qu’il l’eût roué de coups sans l’intervention des autres serviteurs du château.

Cette scène se passait au moment où Gaston au milieu des garancières et des champs de châtaigniers, s’efforçait de dépister ceux qui le poursuivaient.

Bientôt les gendarmes et les hussards reparurent tristes, émus, annonçant que Gaston de Clameran venait de se précipiter dans le Rhône et que certainement il y avait péri.

Un douloureux murmure accueillit cette désolante déclaration. Seul, entre tous, Louis resta impassible, pas un des muscles de son visage ne tressaillit.

Même ses yeux eurent un éclair, l’éclair du triomphe. Une voix secrète lui criait : « Te voici maintenant assuré de la fortune paternelle et de la couronne de marquis. »

Désormais il n’était plus le pauvre cadet, le fils dépouillé au profit d’un aîné, il était le seul héritier des Clameran.

Le brigadier de gendarmerie avait dit :

— Ce n’est pas moi qui annoncerai à ce pauvre vieux que son fils est noyé !…

Louis n’eut ni les scrupules ni l’attendrissement du vieux soldat. Il monta sans hésitation chez son père, et c’est d’une voix ferme qu’il lui dit :