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La comtesse soupçonnait-elle l’amour du jeune ingénieur ? avait-elle été prévenue par son amie ? Il est permis d’en douter.

Toujours est-il que, sans laisser à André la peine d’arriver, de transitions en transitions, jusqu’au sujet qui lui tenait si fort au cœur, elle commença dès le potage à se plaindre de la dureté des temps, de la rareté de l’argent et de l’insolence et de l’âpreté au gain des gens d’affaires.

La vérité est qu’elle était venue à Beaucaire pour un emprunt, qu’elle avait trouvé toutes les caisses cadenassées, et que son notaire lui conseillait une vente amiable de ses terres.

La colère, ce secret instinct des situations qui est le sixième sens des femmes de tout âge, lui déliant la langue, elle fut, avec ce jeune homme presque inconnu, plus expansive qu’avec les gens de sa société la plus intime. Elle dit l’horreur de sa situation, sa gêne, les inquiétudes de l’avenir, et par-dessus tout, la douleur qu’elle éprouvait de ne savoir comment marier sa chère fille.

Lui, écoutait ces doléances infinies avec une figure de circonstance, mais intérieurement il était ravi.

Aussi, sans laisser finir la vieille dame, se mit-il à exposer ce qu’il appela sa façon d’envisager la position.

Après avoir plaint considérablement la comtesse, il avoua qu’il ne s’expliquait aucunement ses inquiétudes.

Quoi ! elle était tourmentée de l’idée de n’avoir pas de dot à donner à sa fille ! Mais Mlle Valentine était de celles dont la noblesse et la beauté sont un apport des plus enviables.

Il connaissait, pour sa part, plus d’un homme qui s’estimerait trop heureux que Valentine voulût bien accepter son nom, et qui se ferait un devoir, — devoir bien doux, — d’enlever à sa mère tout sujet de souci.

En définitive, la situation de la comtesse ne lui semblait pas si mauvaise qu’elle voulait bien dire. Que faudrait-il, pour la libérer, pour dégrever absolument le