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une modeste aisance. J’ai encore tenté de le faire revenir en lui démontrant qu’un mariage qu’il souhaite ardemment depuis deux ans manquerait de ce coup, il m’a répondu qu’il s’était assuré l’assentiment de sa fiancée, mademoiselle d’Arlange.

Ce nom éclata comme la foudre aux oreilles du juge d’instruction. Il bondit sur son fauteuil.

Sentant qu’il devenait cramoisi, il prit au hasard sur son bureau un énorme dossier, et, pour dissimuler son trouble, il l’éleva à la hauteur de sa figure comme s’il eut cherché à déchiffrer un mot illisible.

Il commençait à comprendre de quelle tâche il s’était chargé. Il sentait qu’il se troublait comme un enfant, qu’il n’avait ni son calme ni sa lucidité habituels. Il s’avouait qu’il était capable de commettre les plus fortes bévues. Pourquoi s’être chargé de cette instruction ? Possédait-il son libre arbitre, dépendait-il de sa volonté d’être impartial ?

Volontiers il eut renvoyé à un autre moment la suite de la déposition du comte ; le pouvait-il ? Sa conscience de juge d’instruction lui criait que ce serait une maladresse nouvelle. Il reprit donc cet interrogatoire si pénible.

— Monsieur, dit-il, les sentiments exprimés par le vicomte sont fort beaux sans doute, mais ne vous a-t-il pas parlé de la veuve Lerouge ?

— Si, répondit le comte qui parut soudain