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LE DÉFRICHEUR.

guerriers devaient se frayer un passage. Les travaux de nos défricheurs n’étaient plus autre chose que des batailles sanglantes ; chaque soir on faisait le relevé du nombre des morts et on discutait le plan de la campagne du lendemain. Les morts, c’étaient les arbres abattus dans le cours de la journée ; les plus hauts étaient des généraux, des officiers, les arbrisseaux n’étaient que de la chair à canon.

Une lettre que Jean Rivard écrivait à Gustave Charmenil, un mois après son arrivée dans la forêt, montre qu’il conservait encore toute sa gaîté habituelle.

« Je vais te donner, y disait-il, une courte description de mon établissement. Je ne te parlerai pas des routes qui y conduisent ; elles sont bordées d’arbres d’un bout à l’autre ; toutefois je ne te conseillerais pas d’y venir en carrosse. Plus tard je ne dis pas non. Quant à ma résidence, ou comme on dirait dans le style citadin, à Villa Rivard, elle est située sur une charmante petite colline ; elle est en outre ombragée de tous côtés par d’immenses bosquets des plus beaux arbres du monde. Les murailles sont faites de pièces de bois arrondis par la nature ; les interstices sont soigneusement remplis d’étoupe, ce qui empêche la neige et la pluie de pénétrer à l’intérieur. Le plafond n’est pas encore plâtré, et le parquet est à l’antique, justement comme du temps d’Homère. C’est délicieux. Le salon, la salle à dîner, la cuisine, les chambres à coucher ne forment qu’un seul et même appartement. Quant à l’ameublement, je ne t’en parle pas ; il est encore, s’il est possible, d’un goût plus primi-