Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, économiste, 1876.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.
46
JEAN RIVARD

Mais il était temps que Pierre Gagnon parlât de mariage à Françoise, car son silence intriguait fort la pauvre fille et la tenait dans une incertitude inquiétante.

Elle ne dormait plus sans mettre un miroir sous sa tête afin de voir en rêve celui qui lui était destiné.

Enfin, un jour que Jean Rivard était dans son champ occupé à faire brûler de l’abattis, Pierre Gagnon qui travaillait sur son propre lot laissa un moment tomber sa hache et s’en vint droit à lui.

Mon bourgeois, dit-il, en essuyant les gouttes de sueur qui coulaient de son front, je suis venu vous parler d’une chose dont qu’il y a longtemps que je voulais vous en parler. Manquablement que je vas vous surprendre, et que vous allez rire de moi ; mais c’est égal, riez tant que vous voudrez, vous serez toujours mon empereur comme auparavant…

— Qu’est-ce que c’est donc, dit Jean Rivard, dont la curiosité devint un peu excitée par ce préambule ?

— Ça me coûte quasiment d’en parler, mon bourgeois, mais puisque je suis venu pour ça, faut que je vous dise que je pense à me bâtir une petite cabane sur mon lot…

— Et à te marier ensuite, je suppose ?

— Eh bien oui, vous l’avez deviné, mon bourgeois ; vous allez peut-être me dire que je fais une folie ?…

— Au contraire, je ne vois rien là que de très-naturel. Tu ne me surprends pas autant que tu parais le croire ; je t’avoue même que je soupçonnais un peu depuis quelque temps que tu songeais à cette affaire.

— Tenez, voyez-vous, mon bourgeois, me voilà avec une dizaine d’arpents de terre de défrichés ; je