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JEAN RIVARD

vue que la satisfaction de leurs désirs égoïstes et frivoles ou celle d’une ambition insatiable !

J’étais absorbé dans ces réflexions lorsque tout-à-coup le sifflet de la locomotive se fit entendre à la gare voisine de celle de Rivardville. Je n’avais plus qu’un quart d’heure à moi. Je fis donc mes adieux à madame Rivard et à ses enfants, puis serrant la main de mon hôte :

« En me séparant de vous, lui dis-je d’une voix émue, permettez-moi de me dire votre ami à la vie et à la mort. Jamais je n’oublierai la journée si bien remplie que j’ai passée dans votre société ; les sentiments d’estime que vous m’avez inspirés je les conserverai précieusement au fond de mon cœur. Estime n’est pas assez, je devrais dire admiration, car soit dit sans vous flatter, monsieur, (mon ton doit vous dire assez que je suis sincère) vous resterez pour moi tout à la fois le type de l’homme de bien et celui de l’homme de cœur.

— Je vous remercie beaucoup, monsieur, dit Jean Rivard, de vos paroles flatteuses. Je serais porté peut-être à m’en enorgueillir si je n’avais eu l’occasion de connaître par moi-même d’autres hommes d’un courage, d’une force de caractère et d’une persévérance bien supérieurs à tout ce que vous savez de moi. Et pour ne pas aller plus loin, je vous dirai que mon voisin et compagnon de travail, Pierre Gagnon, dont je vous ai parlé plus d’une fois, a, comme défricheur, beaucoup plus de mérite que je puis m’en attribuer ; si l’un de nous deux méritait le titre de héros, c’est à lui, à coup sûr, et non à moi que reviendrait cet honneur.

« En effet, remarquez, monsieur, qu’en me faisant