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ÉCONOMISTE

— Je suis établi dans ce canton depuis plus de quinze ans, me dit-il, et quoique encore assez jeune, j’en suis le plus ancien habitant. Quand je suis venu ici, dans l’automne de 1844, je n’avais pas vingt ans, et tout le canton de Bristol n’était qu’une épaisse forêt : ou n’y voyait pas la moindre trace de chemin ; je fus forcé de porter mes provisions sur mon dos, et d’employer près d’une journée à faire le dernier trajet de trois lieues que vous venez de parcourir en quelques minutes.

Et Jean Rivard me relata la plus grande partie des faits que le lecteur connaît déjà. J’appris le reste de son ami le curé de Rivardville, avec lequel je me liai bientôt, et plus tard de son ancien confident Gustave Charmenil, qui voulut bien me donner communication de toutes les lettres qu’il avait reçues autrefois du jeune et vaillant défricheur.

Il était minuit quand je montai me coucher. J’avais, sans m’en apercevoir, passé plus de deux heures à écouter le récit de mon hôte.

Le lendemain, je me levai avec l’aurore, le corps et l’esprit parfaitement dispos ; et désirant prendre connaissance de l’endroit où j’avais été jeté la veille, je sortis de la maison.

Quelle délicieuse fraîcheur ! Mes poumons semblaient se gonfler d’aise. Bientôt le soleil se leva dans toute sa splendeur, et j’eus un coup-d’œil magnifique. Un nuage d’encens s’élevait de la terre et se mêlait aux rayons du soleil levant. L’atmosphère était calme, on entendait le bruit du moulin et les coups de hache et de marteau des travailleurs qui retentissaient au loin. Les oiseaux faisaient entendre leur ravissant ramage sous le feuillage des arbres.