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LIVRE II. LA FAMILLE.

religion. Chez les Hindous, la propriété, fondée aussi sur le culte, était aussi inaliénable[1].

Nous ne connaissons le droit romain qu’à partir de la loi des Douze-Tables ; il est clair qu’à cette époque la vente de la propriété était permise. Mais il y a des raisons de penser que dans les premiers temps de Rome, et dans l’Italie avant l’existence de Rome, la terre était inaliénable comme en Grèce. S’il ne reste aucun témoignage de cette vieille loi, on distingue du moins les adoucissements qui y ont été portés peu à peu. La loi des Douze-Tables, en laissant au tombeau le caractère d’inaliénabilité, en a affranchi le champ. On a permis ensuite de diviser la propriété, s’il y avait plusieurs frères, mais à la condition qu’une nouvelle cérémonie religieuse serait accomplie et que le nouveau partage serait fait par un prêtre[2] : la religion seule pouvait partager ce que la religion avait autrefois proclamé indivisible. On a permis enfin de vendre le domaine ; mais il a fallu encore pour cela des formalités d’un caractère religieux. Cette vente ne pouvait avoir lieu qu’en présence d’un prêtre qu’on appelait libripens et avec la formalité sainte qu’on appelait mancipation. Quelque chose d’analogue se voit en Grèce : la vente d’une maison ou d’un fonds de terre était toujours accompagnée d’un sacrifice aux dieux[3]. Toute mutation de propriété avait besoin d’être autorisée par la religion.

Si l’homme ne pouvait pas ou ne pouvait que difficilement se dessaisir de sa terre, à plus forte raison ne devait-on pas l’en dépouiller malgré lui. L’expropria-

  1. Mitakchara, trad. Orianne, p. 50. Cette règle disparut peu à peu quand le brahmanisme devint dominant.
  2. Ce prêtre était appelé agrimensor. Voy. Scriptores rei agrariae.
  3. Stobée, 42.