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CH. VI. LE DROIT DE PROPRIÉTÉ.

s’en dessaisir. Le sol où reposent les morts est inaliénable et imprescriptible. La loi romaine exige que, si une famille vend le champ où est son tombeau, elle reste au moins propriétaire de ce tombeau et conserve éternellement le droit de traverser le champ pour aller accomplir les cérémonies de son culte[1].

L’ancien usage était d’enterrer les morts, non pas dans des cimetières ou sur les bords d’une route, mais dans le champ de chaque famille. Cette habitude des temps antiques est attestée par une loi de Solon et par plusieurs passages de Plutarque. On voit dans un plaidoyer de Démosthènes que, de son temps encore, chaque famille enterrait ses morts dans son champ, et que lorsqu’on achetait un domaine dans l’Attique, on y trouvait la sépulture des anciens propriétaires[2]. Pour l’Italie, cette même coutume nous est attestée par une loi des Douze-Tables, par les textes de deux jurisconsultes, et par cette phrase de Siculus Flaccus : « Il y avait anciennement deux manières de placer le tombeau, les uns le mettant à la limite du champ, les autres vers le milieu[3]. »

D’après cet usage on conçoit que l’idée de propriété se soit facilement étendue du petit tertre où reposaient les morts au champ qui entourait ce tertre. On peut lire dans le livre du vieux Caton une formule par laquelle le laboureur italien priait les Mânes de veiller sur son champ, de faire bonne garde contre le voleur, et de faire produire bonne récolte. Ainsi ces âmes des morts étendaient

  1. Cic., De legib., II, 24. Digeste, XVIII, 1, 6.
  2. Loi de Solon, citée par Gaius au Digeste X, 1, 13. Démosth., contre Calliclès. Plutarq., Aristide, 1.
  3. Siculus Flaccus, édit. Goez, p. 4, 5. Voy. Fragm. terminalia, édit. Goez, p. 147. Pomponius, au Digeste XLVII, 12, 5. Paul, au Digeste VIII, 1, 14.