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CH. I. LA RELIGION A CONSTITUÉ LA FAMILLE.

nent aucun compte de ce sentiment. Il peut exister au fond des cœurs, il n’est rien dans le droit. Le père peut chérir sa fille, mais non pas lui léguer son bien. Les lois de succession, c’est-à-dire parmi les lois celles qui témoignent le plus fidèlement des idées que les hommes se faisaient de la famille, sont en contradiction flagrante, soit avec l’ordre de la naissance, soit avec l’affection naturelle[1].

Les historiens du droit romain ayant fort justement remarqué que ni la naissance ni l’affection n’étaient le fondement de la famille romaine, ont cru que ce fondement devait se trouver dans la puissance paternelle ou maritale. Ils font de cette puissance une sorte d’institution primordiale. Mais ils n’expliquent pas comment elle s’est formée, à moins que ce ne soit par la supériorité de force du mari sur la femme, du père sur les enfants. Or c’est se tromper gravement que de placer ainsi la force à l’origine du droit. Nous verrons d’ailleurs plus loin que l’autorité paternelle ou maritale, loin d’avoir été une cause première, a été elle-même un effet ; elle est dérivée de la religion et a été établie par elle. Elle n’est donc pas le principe qui a constitué la famille.

Ce qui unit les membres de la famille antique, c’est quelque chose de plus puissant que la naissance, que le sentiment, que la force physique ; c’est la religion du foyer et des ancêtres. Elle fait que la famille forme un corps dans cette vie et dans l’autre. La famille antique est une association religieuse plus encore qu’une association de nature. Aussi verrons-nous plus loin que la femme n’y sera vraiment comptée qu’autant que la cé-

  1. Il est bien entendu que nous parlons ici du droit le plus ancien. Nous verrons dans la suite que ces vieilles lois ont été modifiées.