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CH. VII. LA PLÈBE ENTRE DANS LA CITÉ.

Mais il faut bien noter que, si le peuple en Grèce et à Rome cherchait à relever la monarchie, ce n’était pas par un véritable attachement à ce régime. Il aimait moins les tyrans qu’il ne détestait l’aristocratie. La monarchie était pour lui un moyen de vaincre et de se venger ; mais jamais ce gouvernement, qui n’était issu que du droit de la force et ne reposait sur aucune tradition sacrée, n’eut de racines dans le cœur des populations. On se donnait un tyran pour le besoin de la lutte ; on lui laissait ensuite le pouvoir par reconnaissance ou par nécessité ; mais lorsque quelques années s’étaient écoulées et que le souvenir de la dure oligarchie s’était effacé, on laissait tomber le tyran. Ce gouvernement n’eut jamais l’affection des Grecs ; ils ne l’acceptèrent que comme une ressource momentanée, et en attendant que le parti populaire trouvât un régime meilleur et se sentît la force de se gouverner lui-même.

La classe inférieure grandit peu à peu. Il y a des progrès qui s’accomplissent obscurément et qui pourtant décident de l’avenir d’une classe et transforment une société. Vers le sixième siècle avant notre ère, la Grèce et l’Italie virent jaillir une nouvelle source de richesse. La terre ne suffisait plus à tous les besoins de l’homme ; les goûts se portaient vers le beau et vers le luxe ; même les arts naissaient ; alors l’industrie et le commerce devinrent nécessaires. Il se forma peu à peu une richesse mobilière ; on frappa des monnaies ; l’argent parut. Or l’apparition de l’argent était une grande révolution. L’argent n’était pas soumis aux mêmes conditions de propriété que la terre ; il était, suivant l’expression du jurisconsulte, res nec mancipi ; il pouvait passer de main en main sans aucune formalité religieuse et arriver sans

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