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CH. XVI. LE ROMAIN ; L’ATHÉNIEN.

mots qu’il n’ose prononcer de sa vie. Forme-t-il quelque désir, il inscrit son vœu sur une tablette qu’il dépose aux pieds de la statue d’un dieu[1].

À tout moment il consulte les dieux et veut savoir leur volonté. Il trouve toutes ses résolutions dans les entrailles des victimes, dans le vol des oiseaux, dans les avis de la foudre. L’annonce d’une pluie de sang ou d’un bœuf qui a parlé, le trouble et le fait trembler ; il ne sera tranquille que lorsqu’une cérémonie expiatoire l’aura mis en paix avec les dieux.

Il ne sort de sa maison que du pied droit. Il ne se fait couper les cheveux que pendant la pleine lune. Il porte sur lui des amulettes. Il couvre les murs de sa maison d’inscriptions magiques contre l’incendie. Il sait des formules pour éviter la maladie, et d’autres pour la guérir, mais il faut les répéter vingt-sept fois et cracher à chaque fois d’une certaine façon[2].

Il ne délibère pas au Sénat si les victimes n’ont pas donné les signes favorables. Il quitte l’assemblée du peuple s’il a entendu le cri d’une souris. Il renonce aux desseins les mieux arrêtés s’il a aperçu un mauvais présage ou si une parole funeste a frappé son oreille. Il est brave au combat, mais à condition que les auspices lui assurent la victoire.

Ce Romain que nous présentons ici, n’est pas l’homme du peuple, l’homme à l’esprit faible que la misère et l’ignorance retiennent dans la superstition. Nous parlons du patricien, de l’homme noble, puissant et riche. Ce patricien est tour à tour guerrier, magistrat, consul,

  1. Juvénal, X, 55.
  2. Caton, De re rust., 160. Varron, De re rust., I, 2 ; I, 37. Pline, Hist. nat., XVII, 28 ; XXVII, 12 ; XXVIII, 2.