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LIVRE III. LA CITÉ.

époque où les peuples avaient les mêmes croyances et à peu près les mêmes institutions politiques. Il y avait alors entre les États tant d’idées communes qu’on a conçu la pensée de devoirs réciproques ; ainsi est né le droit des gens qui a eu ses lents progrès, comme toute œuvre humaine.

Mais les anciens n’ont pas pu avoir d’autre droit des gens que celui que comportait leur religion. Le droit des gens ne fut jamais chez eux un code permanent et inviolable, ayant ses règles constantes dans la guerre comme dans la paix. Tour à tour le droit des gens existait ou cessait d’être ; il existait dans les cas où la religion l’établissait ; il cessait d’être quand la religion le suspendait. C’est ce qu’on peut voir en observant d’abord comment les anciens se faisaient la guerre, et ensuite comment ils concluaient la paix et formaient des alliances.

Deux cités étaient deux associations religieuses qui n’avaient pas les mêmes dieux. Quand elles étaient en guerre, ce n’étaient pas seulement les hommes qui combattaient, les dieux aussi prenaient part à la lutte. Qu’on ne croie pas que ce soit là une simple fiction poétique. Il y a eu chez les anciens une croyance très-arrêtée et très-vivace en vertu de laquelle chaque armée emmenait avec elle ses dieux. On était convaincu qu’ils combattaient dans la mêlée ; les soldats les défendaient et ils défendaient les soldats. En combattant contre l’ennemi, chacun croyait combattre aussi contre les dieux de l’autre cité ; ces dieux étrangers, il était permis de les détester, de les injurier, de les frapper ; on pouvait les faire prisonniers.

La guerre avait ainsi un aspect étrange. Il faut se représenter deux petites armées en présence : chacune a