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CH. XI. LA LOI.

pelaient les lois carmina, des vers ; les Grecs disaient νόμοι, des chants[1].

Ces vieux vers étaient des textes invariables. Y changer une lettre, y déplacer un mot, en altérer le rhythme, c’eût été détruire la loi elle-même, en détruisant la forme sacrée sous laquelle elle s’était révélée aux hommes. La loi était comme la prière, qui n’était agréable à la divinité qu’à la condition d’être récitée exactement, et qui devenait impie si un seul mot y était changé. Dans le droit primitif, l’extérieur, la lettre est tout ; il n’y a pas à chercher le sens ou l’esprit de la loi. La loi ne vaut pas par le principe moral qui est en elle, mais par les mots que sa formule renferme. Sa force est dans les paroles sacrées qui la composent.

Chez les anciens et surtout à Rome, l’idée du droit était inséparable de l’emploi de certains mots sacramentels. S’agissait-il par exemple d’une obligation à contracter ; l’un devait dire dari spondes ? et l’autre devait répondre spondeo. Si ces mots-là n’étaient pas prononcés, il n’y avait pas de contrat. En vain le créancier venait-il réclamer le paiement de la dette, le débiteur ne devait rien. Car ce qui obligeait l’homme dans ce droit antique, ce n’était pas la conscience ni le sentiment du juste, c’était la formule sacrée. Cette formule prononcée entre deux hommes établissait entre eux un lien de droit. Où la formule n’était pas, le droit n’était pas.

Les formes bizarres de l’ancienne procédure romaine ne nous surprendront pas, si nous songeons que le droit

  1. νέμω partager, νόμος partage, division, mesure, rhythme, chant ; voy. Plutarque, De musica, p. 1133 ; Pindare, Pyth., XII, 41 ; fragm., 190 (édit. Heyne, t. III, p. 160). Scholiaste d’Aristophane, Chevaliers, 9 : νόμοι καλοῦνται οἱ εἱς θεοὺς ὕμνοι.