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LIVRE III. LA CITÉ.

La loi antique n’a jamais de considérants. Pourquoi en aurait-elle ? Elle n’est pas tenue de donner ses raisons ; elle est, parce que les dieux l’ont faite. Elle ne se discute pas, elle s’impose ; elle est une œuvre d’autorité ; les hommes lui obéissent parce qu’ils ont foi en elle.

Pendant de longues générations, les lois n’étaient pas écrites ; elles se transmettaient de père en fils, avec la croyance et la formule de prière. Elles étaient une tradition sacrée qui se perpétuait autour du foyer de la famille ou du foyer de la cité.

Le jour où l’on a commencé à les mettre en écrit, c’est dans les livres sacrés qu’on les a consignées, dans les rituels, au milieu des prières et des cérémonies. Varron cite une loi ancienne de la ville de Tusculum et il ajoute qu’il l’a lue dans les livres sacrés de cette ville[1]. Denys d’Halicarnasse, qui avait consulté les documents originaux, dit qu’avant l’époque des Décemvirs tout ce qu’il y avait à Rome de lois écrites se trouvait dans les livres des prêtres[2]. Plus tard la loi est sortie des rituels ; on l’a écrite à part ; mais l’usage a continué de la déposer dans un temple, et les prêtres en ont conservé la garde[3].

Écrites ou non, ces lois étaient toujours formulées en arrêts très-brefs, que l’on peut comparer, pour la forme, aux versets du livre de Moïse ou aux slocas du livre de Manou. Il y a même grande apparence que les paroles de la loi étaient rhythmées[4]. Aristote dit qu’avant le temps où les lois furent écrites, on les chantait[5]. Il en est resté des souvenirs dans la langue ; les Romains ap-

  1. Varron, L. L., VI, 16.
  2. Denys, X, 1.
  3. Plutarque, Solon, 25.
  4. Élien, H. V., II, 39.
  5. Aristote, Probl., XIX, 28.