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CH. VI. LES DIEUX DE LA CITÉ.

étaient vaincus avec elle[1]. Si une ville était prise, ses dieux eux-mêmes étaient captifs.

Il est vrai que sur ce dernier point les opinions étaient incertaines et variaient. Beaucoup étaient persuadés qu’une ville ne pouvait jamais être prise tant que ses dieux y résidaient. Lorsqu’Énée voit les Grecs maîtres de Troie, il s’écrie que les dieux de la ville sont partis, désertant leurs temples et leurs autels. Dans Eschyle, le chœur des thébaines exprime la même croyance lorsqu’à l’approche de l’ennemi il conjure les dieux de ne pas quitter la ville[2].

En vertu de cette opinion, il fallait pour prendre une ville en faire sortir les dieux. Les Romains employaient pour cela une certaine formule qu’ils avaient dans leurs rituels et que Macrobe nous a conservée : « Toi, o très-grand, qui as sous ta protection cette cité, je te prie, je t’adore, je te demande en grâce d’abandonner cette ville et ce peuple, de quitter ces temples, ces lieux sacrés, et t’étant éloigné d’eux, de venir à Rome chez moi et les miens. Que notre ville, nos temples, nos lieux sacrés te soient plus agréables et plus chers ; prends-nous sous ta garde. Si tu fais ainsi, je fonderai un temple en ton honneur[3]. » Or les anciens étaient convaincus qu’il y avait des formules tellement efficaces et puissantes que, si on les prononçait exactement et sans y changer un seul mot, le dieu ne pouvait pas résister à la demande des hommes. Le dieu, ainsi appelé, passait donc à l’ennemi, et la ville était prise.

On trouve en Grèce les mêmes opinions et des usages analogues. Encore au temps de Thucydide, lorsqu’on

  1. Virgile, Én., I, 68.
  2. Eschyle, Sept chefs, 202.
  3. Macrobe, III, 9.