Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/198

Cette page a été validée par deux contributeurs.
186
LIVRE III. LA CITÉ.

C’était un grand bonheur pour une cité de posséder des morts quelque peu marquants[1]. Mantinée parlait avec orgueil des ossements d’Arcas, Thèbes de ceux de Géryon, Messène de ceux d’Aristomène[2]. Pour se procurer ces reliques précieuses on usait quelquefois de ruse. Hérodote raconte par quelle supercherie les Spartiates dérobèrent les ossements d’Oreste[3]. Il est vrai que ces ossements, auxquels était attachée l’âme du héros, donnèrent immédiatement une victoire aux Spartiates. Dès qu’Athènes eut acquis de la puissance, le premier usage qu’elle en fit, fut de s’emparer des ossements de Thésée qui avait été enterré dans l’île de Scyros, et de leur élever un temple dans la ville, pour augmenter le nombre de ses dieux protecteurs.

Outre ces héros et ces génies, les hommes avaient des dieux d’une autre espèce, comme Jupiter, Junon, Minerve, vers lesquels le spectacle de la nature avait porté leur pensée. Mais nous avons vu que ces créations de l’intelligence humaine avaient eu longtemps le caractère de divinités domestiques ou locales. On ne conçut pas d’abord ces dieux comme veillant sur le genre humain tout entier ; on crut que chacun d’eux appartenait en propre à une famille ou à une cité.

Ainsi il était d’usage que chaque cité, sans compter ses héros, eût encore un Jupiter, une Minerve ou quelque autre divinité qu’elle avait associée à ses premiers pénates et à son foyer. Il y avait ainsi en Grèce et en Italie une foule de divinités poliades. Chaque ville avait ses dieux qui l’habitaient[4].

  1. Pausanias, I, 43. Polybe, VIII, 30. Plaute, Trin., II, 2, 14.
  2. Pausanias, IV, 32 ; VIII, 9.
  3. Hérodote, I, 68.
  4. Hérodote, V, 82. Sophocle, Phil., 134. Thucydide, II, 71. Euripide, Électre,