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LIVRE II. LA FAMILLE.

s’associant dans une même fourberie, se soient dit : nous allons feindre d’avoir un même ancêtre ; nous lui érigerons un tombeau, nous lui offrirons des repas funèbres, et nos descendants l’adoreront dans toute la suite des temps. Une telle pensée ne devait pas se présenter aux esprits, ou elle était écartée comme une pensée coupable.

Dans les problèmes difficiles que l’histoire offre souvent, il est bon de demander aux termes de la langue tous les enseignements qu’ils peuvent donner. Une institution est quelquefois expliquée par le mot qui la désigne. Or le mot gens est exactement le même que le mot genus, au point qu’on pouvait les prendre l’un pour l’autre et dire indifféremment gens Fabia et genus Fabium ; tous les deux correspondent au verbe gignere et au substantif genitor, absolument comme γένος correspond à γεννᾷν et à γονεύς. Tous ces mots portent en eux l’idée de filiation. Les Grecs désignaient aussi les membres d’un γένος par le mot ὁμογάλακτες, qui signifie nourris du même lait. Que l’on compare à tous ces mots ceux que nous avons l’habitude de traduire par famille, le latin familia, le grec οἶκος. Ni l’un ni l’autre ne contient en lui le sens de génération ou de parenté. La signification vraie de familia est propriété ; il désigne le champ, la maison, l’argent, les esclaves, et c’est pour cela que les Douze-Tables disent en parlant de l’héritier, familiam nancitor, qu’il prenne la succession. Quant à οἶκος, il est clair qu’il ne présente à l’esprit aucune autre idée que celle de propriété ou de domicile. Voilà cependant les mots que nous traduisons habituellement par famille. Or est-il admissible que des termes dont le sens intrinsèque est celui de domicile ou de pro-