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LIVRE II. LA FAMILLE.

Avançons jusqu’à Cicéron ; ce n’est plus un poëte, c’est un homme d’État qui parle : « Ici est ma religion, ici est ma race, ici les traces de mes pères ; je ne sais quel charme se trouve ici qui pénètre mon cœur et mes sens[1]. » Il faut nous placer par la pensée au milieu des plus antiques générations pour comprendre combien ces sentiments, affaiblis déjà au temps de Cicéron, avaient été vifs et puissants. Pour nous la maison est seulement un domicile, un abri ; nous la quittons et l’oublions sans trop de peine, ou si nous nous y attachons, ce n’est que par la force des habitudes et des souvenirs. Car pour nous la religion n’est pas là ; notre dieu est le Dieu de l’univers et nous le trouvons partout. Il en était autrement chez les anciens ; c’était dans l’intérieur de leur maison qu’ils trouvaient leur principale divinité, leur providence, celle qui les protégeait individuellement, qui écoutait leurs prières et exauçait leurs vœux. Hors de sa demeure, l’homme ne se sentait plus de dieu ; le dieu du voisin était un dieu hostile. L’homme aimait donc alors sa maison comme il aime aujourd’hui son église.

Ainsi ces croyances des premiers âges n’ont pas été étrangères au développement moral de cette partie de l’humanité. Ces dieux prescrivaient la pureté et défendaient de verser le sang ; la notion de justice, si elle n’est pas née de cette croyance, a du moins été fortifiée par elle. Ces dieux appartenaient en commun à tous les membres d’une même famille ; la famille s’est ainsi trouvée unie par un lien puissant, et tous ses membres ont appris à s’aimer et à se respecter les uns les autres. Ces dieux vivaient dans l’intérieur de chaque maison ; l’homme a aimé sa maison, sa demeure fixe et durable

  1. Cic., De legib., II, 1. Pro domo, 41.