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souvenirs d’une actrice.

baron Desgenettes, qui était prisonnier à Vilna, venait le voir fréquemment.

Dès le premier moment, il nous dit que son mal était sans remède, et qu’on pouvait lui donner ce qu’il demanderait. Il n’entendit que cette dernière phrase et ne me laissa plus de repos que je ne lui eusse été chercher ce dont il avait envie. Il était difficile de se procurer la moindre chose, car les domestiques français ne pouvaient sortir sans danger, et les Juifs, qui servent de commissionnaires dans ce pays, revenaient en disant qu’on leur avait pris ce qu’ils apportaient. Ce fut donc encore moi qui essayai d’aller chercher ce qui était prescrit par les ordonnances des médecins. Je passai au milieu des soldats et des chevaux qui étaient attachés au milieu des rues ; je disais aux cosaques, d’un air gracieux : « Je t’en prie, range tes chevaux, » et ils les rangeaient. Je m’habituai à aller ainsi dans la ville acheter ce qui nous était indispensable, et c’est ainsi que j’ai pu voir de prés ce tableau de désolation.

Enfin ce pauvre jeune homme mourut le 19 décembre 1812, à trois heures du matin ; il avait conservé la connaissance jusqu’au dernier moment.