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DE LA PREMIERE EDITION.

que la malheureuse qualité d'Auteur a coûtume de produire, dans les ames mêmes qui connoissent le mieux l'esprit de moderation à quoy l'étude des belles Lettres & la Religion nous engagent. Il a poussé, on l'avoue, l'esprit de satyre au delà de ses justes bornes, ultra moderamen inculpatae tutelae, contre des Academiciens recommendables par un merite distingué. Mais enfin, puis qu'il est mort avec les regrets convenables, ne faut-il pas que ces Messieurs en demeurent là ; & voudroient-ils venger sur un livre les injures de son Auteur enterré ? Voicy deux mots pour cet Auteur, en attendant que quelqu'un de ses amis luy dresse un Eloge Historique dans les formes.

Messire Antoine Furetiere naquit à Paris l'année 1620. Il fit ses études avec succez, & se rendit habile en Droit Civil & en Droit Canon. Aprés avoir été reçû Advocat au Parlement, il fut pourveu de la charge de Procureur Fiscal de la Justice de l'Abbaye de St. Germain des Prez. Il passa en suite dans l'Estat Ecclesiastique, & fut gratifié de l'Abbaye de Chalivoy au Diocese de Bourges, & du Prieuré de Chuines. Il fu reçû à l'Academie Françoise le 15. May 1662. La Nouvelle Allegorique qu'il fit imprimer en 1658. sur l'Eloquence du temps, est toute pleine de railleries ingenieuses & savantes. Il a publié divers autres Ouvrages tant en vers qu'en prose, où il a montré qu'il avoit beaucoup de talens pour cette espece de Morale qui cherche à nous guerir du vice en le tournant en ridicule. C'est dans cet esprit qu'il composa le Roman Bourgeois, imprimé à Paris en 1666. où il se mocque de plusieurs defauts qui ne sont que trop communs dans le monde ; & en particulier il y raille d'une maniere fort plaisante les Auteurs d'Epîtres Dedicatoires. Le Voyage de Mercure, & un Recueil de Poësies diverses qu'il avoit dêjà publiez, parmy lesquelles il y a quelques Satyres & quelques Epîtres, sont à peu prés de ce même caractere, & ces pieces eurent beaucoup de debit dans leur nouveauté. Il n'en fut pas de même des Fables en vers, qu'il publia quelque temps aprés que celles d'Esope traduites par Mr. de la Fontaine eurent paru : & c'est peut-être ce qui a commencé la mesintelligence de ces deux Auteurs. Mais il est aisé de connoître par l'importance de ce Dictionaire Universel, que Mr. Furetiere ne regardoit ces autres Ouvrages que comme des amusements de jeunesse, ou de simples delassements d'esprit, & qu'il reservoit toutes ses forces pour celuy-cy. Il n'a pas eu la satisfaction de le voir imprimé, étant mort le 14. May 1688. Grand exemple de la vanité des occupations des Savans. Ceux qui travaillent aux escrits les plus durables, qui d'un côté demandent une plus longue application, & produisent de l'autre une plus glorieuse immortalité, meurent le plus souvent, sans que personne les ait pû ou remercier, ou loüer de leur peine ; & puis les voilà dans l'état dont parle le saint homme Job : Ses enfants seront avancez, & il n'en saura rien. Vanitas vanitum, & omnia vanitas.

Pour conclusion on avertit le public, qu'on est bien éloigné de croire qu'il ne manque rien à cet Ouvrage. Un Dictionaire est un de ces livres qui peuvent être ameliorez à l'inifini ; & quoy qu'on ne les gâte que trop souvent dans les dernieres Editions, il faut pourtant convenir, qu'en general la premiere n'est qu'une ébauche en comparaison de celles qui la suivent, comme il est aisé de s'en convaincre en comparant le Catholicon de Joannes de Janua fagoté des reccueils de Papias & de ceux d'Ugotion, avec celuy d'Ascensius Badius ; & en comparant la Cornucopia de Nicolas Perottus, avec le Calepin d'aujourd'huy, quelque defectueux qu'il soit encore. En disant cela, on ne veut pas dire qu'un coup d'essay tel que celuy-cy fait dans un siecle si savant, & limé plusieurs années, ne surpasse les dernieres Editions de plusieurs autres Dictionaires.


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