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alors Vollichon) ? je ne l’entends point, mais du grais, je vous en casse. Il y a long-temps (dit alors Laurence) que j’admire vostre maniere de parler ; il faut que vous ayez un dictionnaire de quolibets que vous ayez appris par cœur, pour les prodiguer comme vous faites. Vrayement (dit Vollichon) j’en sçais bien d’autres dont je ne prens point d’argent ; et en effet il en alloit enfiler un grand nombre, si ce n’eust esté qu’un petit garçon vint à sa sœur Javotte demander tout haut en sa langue de petit enfant quelques pressantes nécessitez. Cette conversation fut ainsi interrompuë ; et quand elle auroit esté mille fois plus sérieuse, elle ne l’auroit pas esté moins, car c’est la coustume de ces bons bourgeois d’avoir toujours leurs enfans devant leurs yeux, d’en faire le principal sujet de leur entretien, d’en admirer les sottises et d’en boire toutes les ordures. Le petit Toinon fut aussi-tost loüé de sa propreté ; on luy promit à cause de cela du bonbon ; et apres qu’on l’eut mis bien à son aise, Madame Vollichon ne parla plus avec Mademoiselle Laurence que des belles qualitez de son fils, de ses miesvretez et postiqueries. Ce sont les termes consacrez chez les bourgeois et les mots de l’art pour expliquer les gentillesses de leurs enfans. Elle ne se contenta pas de parler de celuy-là ; elle en loüa encore un autre qui estoit encore à la mammelle, disant de luy qu’il parloit tout seul, qu’il avoit la plus belle éloquence du monde, et qu’il sçavoit déjà huit ou dix mots.

Toinon r’entra peu de temps apres dans la salle en equipage de cavallier, c’est à dire avec un baston entre les jambes, qu’il appelloit son dada. Vollichon prit aussi-tost un manche de balay qu’il mit entre les siennes, et, courant apres son fils, ils firent ensemble trois