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L’HOMME À L’HISPANO

vois pas. Avant vous, je n’ai rencontré personne. J’ai trop vécu ici. Il y a peut-être, dans un autre milieu que le nôtre, des âmes moins desséchées…

— Vous croyez ?

Il l’interrogeait d’un élan. Il était heureux, brusquement, de ce qu’elle avait dit. Il y voyait une porte ouverte. Puisqu’elle pensait que d’autres, moins privilégiés que ceux qu’elle avait connus, étaient différents, plus sensibles et d’un cœur plus riche, peut-être avant de la quitter, en lui disant adieu, pourrait-il lui révéler sa misère ? Cela ne serait pas vil, en partant. Mais, radieuse, elle continuait, s’offrant un peu de pitié cérébrale, le raffinement, dans son bonheur, de penser vaguement, avec imprécision, à la plèbe qu’elle ignorait :

— J’imagine, en effet, qu’il y a d’autres êtres, sans luxe, moins gâtés que nous.

Il fut découragé par le mot : nous. Comment pourrait-il, maintenant, lui révéler qu’il n’était pas des heureux du monde ? Une petite ironie sans amertume le fit sourire, tandis qu’il la regardait dans sa splendeur. Il articula doucement :

— Le luxe ? Vous en dites du mal ?

Elle répondit nettement ;

— Oh ! non, certes non.

Elle s’expliqua tranquillement, parlant de l’argent comme le boulanger parle du pain, avec la certitude souveraine que la farine ne peut