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L’HOMME À L’HISPANO

plantes recélées dans les profondeurs. Les nénuphars de l’arrière-saison s’étalaient à profusion avec des airs de plateaux chinois et, sur les bords, on devinait tout un enchevêtrement d’herbes vigoureuses auxquelles, depuis longtemps, on n’avait point touché. La surface liquide était vaste. Un petit pont de bois vermoulu, mangé de lierre et peuplé d’insectes, enjambait gauchement une anse, à deux cents mètres du château. On n’y passait plus par prudence. Nicolaï, rencontré, s’excusa. Ce n’était point lui ni les jardiniers qui pouvaient curer l’étang. Depuis trois générations, on avait eu le goût de le laisser ainsi redevenir sauvage.

— Il faudrait pourtant se décider, dit-il. Tel qu’il est, il n’est plus qu’un piège à sarcelles, une remise à poules d’eau, à ces canards qui traversent le ciel. Ah ! dame, il faudrait pas mal d’ouvriers pour le laver.

Mais Stéphane aimait cet abandon. Elle devinait qu’un monde inconnu, jamais dérangé par les hommes, un univers mystérieux et grouillant, heureux dans sa liberté, pullulait sous ces herbes, ces eaux limoneuses, ces vases assoupies. Elle pensait qu’un ordre d’elle serait un ordre de massacre, un décret d’extermination ; que d’un mot, légèrement dit, elle détruirait la vie obscure créée et développée là, par cinquante années d’éclosions successives. Elle sourit et répondit à Nicolai qu’on interviendrait plus tard. Aujourd’hui,