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POÉSIES

Si me constraint si desirs sus une heure
Que sans nombre trop plus de mauls saveure
Que je ne fai de joie et de repos.
Quel tamps qu’il soit, onque je ne repos
Ne nuit ne jour, ne heure ne minime ;
Car bonne amour le coer si fort me lime,
En pensant à votre très grant beauté,
Que cil penser m’ont pluisours fois maté,
Telement qu’il n’avoit dedans mon fait
Commencement, ne moyen, ne parfait ;
Et bien souvent ne savoie où j’estoie,
Mès tous pensieus et tous mas m’arrestoie,
Car pluiseurs fois me suis moult repentis
De ce qu’envi m’estoïe departis,
Pour ce qu’i-gnoramment, ce me sambloit,
Mon coer, qui de paour trestous trambloit,
S’ert contenus vers vous ains mon depart ;
Et de mon fait pas la centime part
N’avoie dit. Dont, en moi recordant,
Je m’en tenoie assés à ignorant.
Or ai mon coer de ce moult entechié.
Dont, se g’i ai aucunement pechié,
Certes, ce n’est ne pour mal ne pour visce
Qui soit en moi par recréant servisce ;
Ce n’est que par faulte de hardement
Et par amours, dont sui si ardemment
Espris de vous, mon coer en tout donner,
Que ce mesfet me devés pardonner ;
Car volontiers, se le pooïe faire,
Vous diroïe mon coer et mon afaire