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la nature des choses sensibles. Et ce double parti, Hobbes le prend tour à tour, selon qu’il convient le mieux au développement de son système.

C’est ainsi qu’il retranche Dieu de la science ; c’est ainsi qu’il y laisse l’âme, mais en la faisant chose corporelle. Du reste, il n’est pas besoin de montrer ce que cette théorie, considérée soit dans son principe, soit dans ses applications, a d’incomplet et de faux. La simplicité qui en fait le mérite, ne la sauve pas de la fausseté, et elle demeure convaincue de ne rendre qu’un compte imparfait des phénomènes de la connaissance, dont même elle néglige ou altère les plus essentiels et les plus profonds.

Quant à la théorie des affections, elle est peut-être plus capitale encore, du moins quant aux conséquences qu’elle doit avoir en morale.

Nous n’insisterons pas sur ce qu’elle présente d’hypothétique et de vague, lorsqu’elle assigne aux affections pour siége et centre le cœur, pour cause immédiate le mouvement qui vient de la tête au cœur, pour cause première et éloignée les corps avec lesquels nous sommes en relation. Ni tous les faits, ni les vrais faits, ne sont reproduits fidèlement dans une telle théorie, on peut le dire, plus mécanique que physiologique, et plus physiologique que psychologique. Mais ce qu’il y a de plus grave à noter, c’est que, comme on l’a remarqué, une telle explication ne suppose et ne peut supposer que des affections physiques, puisqu’elle les attribue toutes à une substance et à une cause purement physiques : ainsi, à moins de ne voir, par exemple (et c’est, il est vrai, ce que fait Hobbes), dans la pitié, dans la charité, dans l’indignation, dans l’admiration, etc., que des phénomènes organiques, produits en nous par l’impression d’objets qui n’ont rien de moral, il faut bien reconnaître que les plus profondes, les plus nobles et les plus saintes passions de l’âme humaine sont méconnues ou niées dans cette étroite analyse, et que l’homme, sous ce rapport, reste en lui-même un animal, que toute sa raison ne peut élever au-dessus de la plus grossière et de la plus humble sensibilité : car elle-même ne peut dépasser le cercle de la nature, et l’entraîner à sa suite dans les hautes régions du bien, du beau et du divin.

De plus, cette même théorie, en réduisant la volonté à une affection prédominante, laquelle n’est prédominante que par une suite nécessaire de l’action des objets, et la liberté à l’absence d’obstacle à la volonté, circonstance qui, comme on le voit, ne dépend que de la fatalité, cette théorie porte une visible atteinte à la moralité humaine ; et de la sorte, après avoir détruit le principe du devoir, elle en détruit également la faculté et le pouvoir. Certes, il ne saurait y avoir en morale une doctrine à la fois plus fâcheuse et plus fausse.

L’homme n’est pas religieux, selon Hobbes, légitimement et par le développement régulier de sa raison ; il ne peut pas l’être par la science, laquelle ne connaît pas de Dieu : il ne l’est que par inspiration, tradition, théologie, ce qui, au fond, n’est réellement l’être que par illusion ou déception : car il n’y a de vrai que la science et ce qu’enseigne la science. Aussi Hobbes traite-t-il la religion plutôt comme un artifice et une combinaison politiques, que connue la satisfaction naturelle d’un des plus sincères et des plus profonds besoin de l’âme humaine, que comme un moyen d’éducation appliqué à la préparer dans cette autre vie : il en méconnaît ainsi la vérité et l’esprit.

L’homme n’est pas, non plus, un être vraiment social ; d’abord il ne l’est pas primitivement, il est plutôt le contraire : ensuite, quand il le devient, ce n’est pas par devoir, par amour, par quelque douce et vive sympathie : c’est par calcul, par égoïsme, par cette seule considération que la paix vaut mieux que la guerre pour sa propre conservation. En sorte que la société n’est point pour lui la condition nécessaire et légitime de son perfectionnement général au sein de ses semblables, avec la justice pour règle et l’amour pour attrait : c’est simplement l’absence de la lutte et de la violence, quels que soient d’ailleurs les moyens par lesquels s’établit et se maintient cet état. Ainsi constituée, la société n’est qu’un fait qu’il accepte parce qu’il lui convient, qu’il respecte tant qu’il lui convient ; mais qui n’a rien en lui-même d’obligatoire et de saint, et qu’il est libre, quand il en a la force, de modifier et de changer, sauf ensuite à y revenir, si son intérêt l’y rappelle.

Outre les ouvrages de Hobbes qui ont été mentionnés dans le cours de cet article, nous devons citer sa controverse avec l’évêque Bramhall : Quæstiones de libertate, necessitate et casu, contra Bramhallum episcopum derriensem, in-4, Londres, 1656 ; — sa biographie écrite par lui-même en vers latins et en prose : Vita Thomæ Hobbes, in-4, ib., 1679, et dans le Vitæ Hobbianæ auctarium, in-8, ib., 1681, et in-4, 1682. — La plupart des ouvrages de Hobbes, à l’exception du traité de Cive, ont été réunis sous le titre de Moral and political Works, in-fo, Londres, 1750. — Le de Cive, le de Corpore politico et le traité de Natura humana ont été traduits en français, le premier par Sorbière, le dernier par le baron d’Holbach, et réunis sous ce titre : Œuvres philosophiques et politiques de Th. Hobbes, 2 vol. in-8, Neufchâtel (Paris), 1787.

On peut consulter sur Hobbes : Lambert Welthysen, De principiis juris et decori, dissertatio epistolica, continens apologiam pro tractatu clarissimi Hobbesii de Cive, Amstelodami, 1851, in-12 ; — Cousin, Cours de philosophie de 1828. Premiers Essais ; — Jouffroy, Cours de droit naturel, 12e leçon et suiv. ; — Damiron, Essai sur l’histoire de la philosophie en France au xviie siècle, t. I. Ph. D.

HŒPFNER (Louis-Jules-Frédéric), jurisconsulte, philosophe, né à Giessen en 1743, professeur de droit à l’université de la même ville, puis jugea la cour d’appel de Hesse-Darmstadt, mort à Darmstadt, en 1797. Indépendamment de plusieurs écrits concernant le droit positif, il a publié sur le droit naturel un ouvrage longtemps en vogue et plusieurs fois réimprimé, dont les principes sont empruntés à la philosophie morale de Wolf. Cet ouvrage, composé en allemand, a pour titre : Droit naturel des individus, des sociétés et des peuples, in-8, Giessen, 1780 et 1796. Il est également l’auteur d’un petit écrit sur cette question de morale : Pourquoi les devoirs des hommes sont-ils tantôt parfaits et tantôt imparfaits ? Quels sont ceux qui appartiennent à la première ou à la seconde classe ? in-4, ib. ; 1779.

X.

HOFFBAUER (Jean-Christophe), né à Bielefeld, en 1766, mort à Halle, en 1827, après y avoir enseigné la philosophie depuis 1794, était attaché à la doctrine de Kant, qu’il a développée et complétée à certains égards dans les écrits suivants : Analyse des jugements et des raisonnements, in-8, Halle, 1792 ; — Droit naturel, déduit de la notion de droit, in-8, ib., 1763 ; — Éléments de la logique, avec une esquisse de la psychologie expérimentale, in-8, ib., 1794 et 1810 ; — Recherches sur les objets les plus importants du droit naturel, in-8, ib., 1795 ; —