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humaine ; seuls au milieu de ce monde, nous avons en partage la liberté, la rai­son ou la faculté de l’absolu, la conscience d’une tâche infinie, d’une perfectibilité sans limites, et par conséquent un gage d’immortalité.

  1. est impossible de joindre à cet article une bibliographie particulière, car la théorie de Tàme fait nécessairement partie de tous les traités et de tous les systèmes de philosophie.

AME du monde. L’idée d’une force immaté­rielle, mais confondue avec la matière et ne s’é­tendant pas au delà, lui servant à la fois de principe moteur et de principe plastique, c’est-à— dire lui donnant à la fois le mouvement et cette variété de formes que nous admirons dans la na­ture, voilà ce que les philosophes ont désigné sous le nom d’àme du monde, et que plusieurs d’entre eux ont substitué à l’idée même de Dieu. Cette hypothèse est presque aussi ancienne que la philosophie. On la trouve d’abord sous une forme assez obscure, dans le système de Pytha— gore, qui pourrait bien l’avoir empruntée du pan­théisme de l’Orient, en plaçant au-dessus d’elle la conception d’un être vraiment infini. Du sys­tème de Pythagore elle a passé dans celui de Platon, où elle prend un caractère plus précis et plus ferme. Platon, ne pouvant concevoir que l’intelligence pure, que la substance des idées éternelles puisse agir directement sur la matière, a placé entre ces deux principes une substance intermédiaire, formée à la fois d’un élément in­variable, identique comme l’intelligence (ταυ-ό<), et d’un autre qui varie comme les objets sensi­bles (6άτερον). Il pensait, en outre, que l’univers, étant l’œuvre de l’intelligence suprême, devait être parfait autant que le permet son essence, et que cette perfection, il la posséderait à un plus haut degré s’il était animé que s’il ne l’était pas. C’est ainsi qu’il justifie l’existence et qu’il définit les caractères de l’âme du monde. C’est à elle qu’il confie la tâche de répandre dans toute la nature le mouvement, la sensibilité et la vie. Son action se fait sentir dans le centre du monde ; mais elle a aussi des effets particuliers qui s’é­tendent jusqu’au moindre atome de la matière. Elle est la source de toutes les âmes particuliè­res qui tirent de son sein leur substance et leur nourriture. Le rang et les fonctions que Platon a donnés à l’âme du monde, ont été à peu près conservés par l’école d’Alexandrie, car au-dessus de ce principe, les disciples d’Ammonius recon­naissaient encore l’intelligence, et au-dessus de l’intelligence ; l’unité ou le bien. Il n’en est pas de même des stoïciens : dans leur système, l’âme du monde prend la place de Dieu, et, non contents de l’avoir élevée à ce rang sublime, ou plutôt d’avoir abaissé jusqu’à elle 1 idée de l’être absolu, ils en font encore une force inséparable de la matière, une force active qui par sa propre énergie imprime aux corps les formes sous les­quelles ils se montrent a nos yeux [formam muncli informantem), et constitue ainsi, tout à la fois, le principe moteur et la vertu plastique de l’univers… Totosque infusa per arlus, mens agitat molem et magno se corpore miscct. Quand on compare cette opinion à celle de Straton le physicien, on ne voit pas entre elles une grande différence : ce que les disciples de Zénon déco­rent du nom de Dieu, le philosophe de Lampsa— que l’appelle la nature ; mais du reste, il lui laisse absolument le même rôle : « Toute la puis­sance, disait-il, que l’on attribue aux dieux existe dans la nature. » Omnem vim divinam in natura sitam esse [de Nat. Deor., lib. I, c. xm). C’est elle qui a fait tout ce qui existe, ou du moins qui a donné une forme à tous les corps de l’univers. Les mouvements sort la seule cause, et les lois la seule règle de tout.ce qui arrive (Acad. quœst., lib. II, c. xxxvm). L’hypothèse de l’âme du monde a eu peu de crédit sous le règne de la philosophie scolastique ; mais elle reparaît après la renaissance des lettres et de la philosophie ancienne, surtout de la philosophie de Platon. Un peu plus tard elle s’introduit sous une forme nouvelle dans les systèmes de Cor­nélius Agrippa, de Paracelse, de Van-Helmont et de Henri Morus ; car ce qu’on désigne sous le nom d’archée, ce que Henri Morus appelle prin­cipium hylat chicum, c’est-à-dire le principe universel, agent de tous les phénomènes physi­ques, véhicule de toutes les propriétés et de tous les mouvements de la matière, cause plastique de toutes les formes de l’organisme, ce n’est pas au­tre chose que l’âme du monde. On la rencontre aussi, à la même époque, chez quelques théolo­giens allemands, par exemple chez Amos Come— nius et Jean Bayer, qui ont eu la prétention de fonder sur la Biüle, mais sur la Bible interprétée à leur façon, un nouveau système de physique. A les en croire, c’est l’âme du monde que l’au­teur de la Genèse a voulu désigner par ces pa­roles : « Et l’esprit de Dieu flottait sur la face des eaux (Gen., c. i, v. 2), cet esprit, qui anime et qui vivifie le monde, qui est la vie elle-même répandue dans toute la nature, ipsa vita ; mundo infusa ad operandum omnia in omnibus (Phy— siccs ad lumen divinum reformatae synopsis, in-8, Leipzig, 1633, p. 29). Ce n’est pas Dieu, mais la première création de Dieu ; c’est l’œuvre du Saint-Esprit, comme la matière est l’œuvre de Dieu le Père, et la lumière celle du Fils. Il n’est plus question de rien de semblable dans la philosophie de nos jours.

On voit par ce rapide résumé que l’âme du monde a été comprise de deux manières : chez les uns, elle represente le degré le plus élevé de l’être, elle est mise à la place de Dieu et dégé­nère en un véritable panthéisme ; chez les autres, elle n’est qu’une production ou une émanation de la puissance divine, et son rôle est de servir d’in­termédiaire entre celle-ci et l’univers matériel. La première de ces deux théories, manifestement contraire à l’idée que nous donnent la conscience et la raison de l’être souverainement parfait, sera suffisamment appréciée dans l’article consacré au panthéisme en général. La seconde est une hypothèse que rien ne justifie ; car pourquoi Dieu ne pourrait-il pas agir sur les êtres ? ou pourquoi des forces multiples, immatérielles comme celles dont l’expérience et l’induction constatent pour nous l’existence, ne pourraient-elles pas suffire à tous les phénomènes de la nature ? Quel moyen, enfin, a-t-on de s’assurer que le monde est un être animé ; qu’indépendamment de la vie parti­culière de chacun des êtres dont il se compose, il a aussi une vie, une sensibilité à lui, et qu’il forme comme un animal immense dont nous ne sommes que les organes ? Ce qu’il y a de vrai dans ces rêves justement abandonnés, c’est qu’il règne dans le plan de l’univers une admirable unité, c’est que tout dans son sein se meut, s’en­chaîne et se développe dans une harmonie su­blime, œuvre d’une intelligence et d’un pouvoir sans bornes.

Voyez d’abord le Timée de Platon et le résumé qu’on en a fait sous le nom de Timée de Locre. Voir aussi Rechenberg, Disputatio de mundi anima, Leipzig, 1678. — S helling, de l’Amc du monde, in-8, Hambourg. 1809(en ail.).—L’homme et les étoiles, fragment aune Histoire de l’âme du monde, par W. Pfaff, in-8, Nuremb., 1834 (en ail.). —Boeck, Dissertation sur la formation de l’âme du monde, d’après le Timce de Platon, dans les Études de Daub et de jCreuzet. — Ch. Gott !.