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faire passer sur l’étrangeté révoltante de ses conclusions.—Un retour plus sérieux à l’observa­tion éclairée par la raison se manifeste chez des esprits très-distingués qui joignent à un rare ta­lent philosophique des connaissances positives dans fes sciences ou se sont fait un nom par leurs travaux de critique et d’érudition, tels que 11er— mann, Fichte, Lotze, H. Ritter, etc. Ceux-ci se sont donné pour tâche principale de rétablir les vérités niées ou compromises dans les systèmes précédents, de démontrer l’individualité des êtres, la personnalité humaine et divine, la liberté, l’immortalité, comme conciliables avec la science aussi bien que conformes aux croyances de l’hu­manité. On ne peut que désirer vivement le suc­cès d’une telle entreprise*.

Que conclurons-nous de cet exposé général ? D’abord nous reconnaîtrons l’importance du mou­vement philosophique qui s’est accompli en Alle­magne depuis un siècle. On ne peut nier que tous les grands problèmes qui intéressent l’huma­nité n’aient été agités par des hommes d’une haute et rare intelligence ; que des solutions nou­velles et importantes n’aient été proposées, des \ues fécondes émises, des travaux remarquables exécutés sur une foule de sujets et dans toutes sortes de directions ; que ces idées n’aient exercé une grande influence sur toutes les productions de la pensée contemporaine. Mais ces systèmes sont loin de satisfaire les exigences de l’esprit humain et les besoins de notre époque. Une admiration aveugle seraitaussi déplacée qu’un injuste dédain ; il nous siérait mal, à nous particulièrement, de nous laisser aller à l’engouement et à une imita­tion servile, quand l’insuffisance de ces doctrines est reconnue par les Allemands eux-mêmes. Il faut donc que la philosophie se remette en mar­che, attentive à éviter les écueils contre lesquels elle est venue tant de fois échouer, et qui sont, pour la philosophie allemande en particulier, l’a­bus des hypothèses, de la logique et du raisonne­ment a priori, le mépris de l’observation et de l’expérience. Dans l’avenir philosophique qui se prépare, il est permis d’espérer qu’un rôle impor­tant est réservé à la France. Le génie métaphy­sique n’a pas été refusé aux compatriotes de Des­cartes et de Malebranche. En outre, pourquoi la sévérité des méthodes positives, pourquoi les qua­lités qui distinguent l’esprit français, la justesse, la netteté, la sagacité, l’éloignement pour toute espèce d’exagération, le sentiment de la mesure, c’est-à-dire du vrai en tout, l’amour de la clarté, ne seraient-elles pas aussi, dans la philosophie, les véritables conditions de succès ? L’opinion contraire tournerait contre la philosophie elle— même. Mais nous répéterons, au sujet de la phi­losophie allemande en général, ce que nous avons dit plus haut du dernier de ses systèmes : pour la depasser il faut la connaître, et par conséquent l’étudier sérieusement ; il faut se placer au point où ces philosophes ont conduit la science.

L’ouvrage le plus important qui ait été écrit dans notre langue sur la philosophie allemande est celui de J. Wilm : Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel, 4 vol. in-8, Paris, 1846-1849. On peut consulter aussi le rapport de M. de Rémusat sur le concours académique d’où est sorti l’ouvrage de M. Wilm : de la Philosophie allemande, in-8, 1845. — En allemand, un des meilleurs ouvrages sur le même sujet est celui de Charles-Louis Michelet : Histoire des derniers systèmes de la philoso­phie en Allemagne depuis Kant jusqu’à Hegel,

  1. vol. in-8, Berlin, 1837-1838. — Nous citerons encore le livre plus agréable que profond de Chalybœus : Développement historique de la philosophie spéculative depuis Kant jusqu’à

Hegel, in-8, Dresde et Leipzig, 1839. — Parmi les histoires plus récentes, nous signalerons, outre le grand ouvrage de Kuno Fischer, His­toire de la philosophie modeime (non terminé), une Histoire de la philosophie allemande depuis Leibnitz, par Ed. Zeller, Munich, 1873. Ch. B.

ALSTEDT (Jean-Henri), en latin Alstedius, né à Herborn en 1588, enseigna la philosophie, les belles-lettres, les sciences et la theologie, d’abord dans sa ville natale, puis à Carlsbourg (Alba Ju­lia) en Transylvanie, où il mourut en 1638. Il fut, dans le premier tiers du xviie siècle, un des représentants quelque peu attardés du ramisme et même du lullisme. Doué d’un esprit conciliant, mais de peu de portée, cet écrivain infatigable et qui justifia pleinement l’anagramme de son nom (Alstedius, Sedulitas), s’efforça de mettre d’ac­cord la dialectique de Raymond Lulle et celle de Ramus avec la logique d’Aristote, sinon avec la scolastique, qu’il n’aimait pas. Son commentaire sur l’Ars magna de Lulle (Clavis artis Lullianœ et verœ Logicæ, Argentorati, 1609, in-8) est peut— être le plus utile à consulter pour ceux qui veu­lent saisir sur tous les points le véritable sens du curieux et obscur travail par lequel le philosophe de Majorque préluda à la Renaissance à la fin du xiiic siècle. Alstedt est compté par Brucker (t. V, p. 584) parmi les semi-ramistes ou Arislotelico— Ramei, c’est-à-dire les logiciens éclectiques qui, vers la fin du xvie et au début du xvne siècle, ten­tèrent en Allemagne une sorte de fusion entre la demi-scolastique de Mélanchthon et la réforme plus radicale inaugurée par Ramus dans l’ensei­gnement de la logique. Ce savant érudit avait, on peut le dire, la passion de la logique et de la mé­thode. Par méthode il entendait surtout, comme Ramus et les ramistes, l’ordre dans les idées, la bonne division d’un sujet, la distribution régu­lière des parties de chaque science. Il porta cette préoccupation dans toutes les études qu’embras­sait sa riche et patiente érudition, et dont il fit tour à tour la matière de son enseignement. 11 écrivit dans cet esprit sur la rhétorique, sur la logique et sur les mathématiques qu’il voulait or­ganiser d’après un plan nouveau (voy. son Ele— mentale mathematicum, in quo Mathesis metho­dice traditur, 1615, in-8). Des arts libéraux pas­sant à la théologie^ Alstedt n’essaya pas seule­ment, dans une Logica theologica, de disposer les parties de cette science dans l’ordre le plus mé­thodique ; il entreprit encore, avec une entière bonne foi et pour travailler à la pacification des esprits, de montrer que la philosophie et toutes les sciences ont leurs principes et leurs éléments dans les Écritures. C’est l’objet de l’ouvrage inti­tulé : Triumphus biblicus, sive Encyclopædia biblica, exhibens triumphum philosophiæ, juris­prudentiae et medicinæ sacræ, itemque sacræ theologiæ, quantum illarum fundamenta ex Scrip­toribus sacris Veteris et Novi Testamenti colligun­tur (Francofurti, 1641, in-8). Il y déploya plus de connaissances que de jugement, et le mauvais suc­cès du livre donna lieu à un critique de faire re­marquer que ce n’était pas pour l’auteur un triom­phe. mais un désastre. Aussi bien le principal mérite d’Alstedt est-il ailleurs. Outre les ouvrages spéciaux où il traitait de chaque science à part, il conçut le projet de rédiger un système de toutes les connaissances humaines. Au moyen âge il eût écrit une somme ; homme de la Renaissance, il se conforma au goût de son temps en composant une encyclopédie générale et méthodique des arts libéraux, qui jouit de quelque estime dans le monde lettré et dont le P. Lami, de l’Oratoire, a dit avec indulgence dans ses Entretiens sur les sciences qu’Alstedt « est presque le seul d’entre tous les faiseurs d’encyclopédies qui mérite d’êtrelu