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La notion de Dieu étant ainsi obtenue avec plus ou moins de certitude pour l’homme, plusieurs idées accessoires s’y rattachent dans la doctrine de Pierre d’Ailly. Dans son commentaire sur la seconde question du Livre des Sentences, il se de­mande si nous pouvons jouir de Dieu, et répond avec adresse à ses adversaires qui se fondaient sur l’impossibilité où le fini est de saisir l’infini. Il conclut que l’homme peut jouir de Dieu, non-seu­lement en vertu de la révélation, mais par suite même des lumières naturelles, puisque pouvant connaître Dieu, nous pouvons aussi l’aimer. Cette question, qui passe tout naturellement à la théo­logie, contient dans son développement, des ré­flexions qui préludent à la querelle de Bossuet et de Fénelon sur l’amour pur.

L’existence de Dieu fournissait à Pierre d’Ailly une base inébranlable pour y fonder d’une ma­nière solide le principe de la loi. Quoiqu’il ne donne pas toujours de ses idées une démonstration satisfaisante, il pose cependant des principes cer­tains entre lesquels se trouvent ceux-ci : Parmi les lois obligatoires, il y en a une première, une et simple.Il n’y a point de succession à l’in­fini de lois obligatoires. On peut croire que le spectacle des désordres du grand schisme d’Occident, où les souverains pontifes mettaient si sou­vent leur volonté à la place des lois de toute es­pèce et de tous degrés, inspira à Pierre d’Ailly le besoin de rappeler son siècle à des principes fixes dont la rigueur ne fut pas toujours goûtée par ceux de ses contemporains qu’ils blessaient dans leurs intérêts ou condamnaient dans leur con­duite.

L’accord de la prescience divine et de la contin­gence des faits futurs a exercé la subtilité de Pierre d’Ailly. comme celle de la plupart des phi­losophes qui lui ont succédé, mais sans plus de succès. Il cherche, après Pierre Lombard, qu’il commente, la solution de ce problème, et croit y être parvenu à l’aide de distinctions qui ressem­blent plus à des jeux de mots qu’à une analyse quelque peu sûre. À l’aide de cette conclusion : Illud quod Deus scit necessario eveniet necessi­tate immutabilitatis, non tamen necessitate inevitabilitatis, il paraît ne pas douter que l’intelli­gence ne doive être complètement satisfaite par ce non-sens. Au milieu de ce travail d’une dia­lectique spécieuse, on ne peut disconvenir que les raisons en faveur de la prescience divine, soit que l’auteur les tire des lois de l’intelligence, soit qu’il les puise dans les saintes Écritures, ne soient beaucoup plus concluantes que celles sur lesquelles s’appuie la contingence des faits, et par suite la liberté morale de nos actes.

Quoique d’Ailly, à l’exemple de tous ses con­temporains, ait fort négligé la science dont la phi­losophie fait aujourd’hui sa base la plus essen­tielle, cependant il a laissé un traité de Anima, vé­ritable essai psychologique, tel qu’il pouvait être conçu à cette époque. L’analyse des facultés y est incomplète et arbitraire ; mais, par une sorte d’anticipation curieuse de phrénologie, elles sont rapportées aux cinq divisions que les anatomistes contemporains reconnaissaient dans le cerveau. Dans l’examen des rapports de l’âme avec les ob­jets extérieurs, l’auteur discute les deux hypo­thèses des idées représentatives et de l’aperception immédiate. Cette discussion, renouvelée de nos jours entre les partisans de Locke et ceux Je l’école écossaise, n’était pas nouvelle, même du temps de Pierre d’Ailly, et on la retrouve à des époques antérieures du moyen âge, d’où il serait facile de la suivre jusqu’à la philosophie grecque.

Les historiens de la philosophie rangent, avec raison, Pierre d’Ailly parmi les nominalistes. Il ne faudrait pas cependant en conclure qu’il n’ait point admis dans sa conception philosophique quelque élément réaliste. Il est en effet nomina — liste avant tout, mais il ne l’est pas exclusivement, et ces expressions que l’on trouve dans ses écrits, notiones æternæ, mundus intellectualis et idealis, renferment le germe d’un réalisme bien en­tendu. Dans un chapitre où il examine s’il y a en Dieu d’autres distinctions que celle qui résulte des personnes de la Trinité, il établit, d’après Platon, qu’il ne cite pas toutefois avec une par­faite intelligence, et d’après S. Augustin, qu’il y a en Dieu les idées types ou modèles de toutes les choses créées. Il diffère cependant des réalistes scolastiques en un point important : il reconnaît l’existence de ces idées en tant qu’elles répon­dent à tous les objets individuels créés ; mais il en nie l’existence absolue comme universaux. Il y a là un progrès réel vers l’accord des deux doc­trines rivales, et Pierre d’Ailly, en se plaçant ainsi entre les deux extrêmes, montre une réserve pleine de sagacité.

Tels sont les traits principaux de la doctrine de Pierre d’Ailly. S’ils ne suffisent pas pour établir un système coordonné et complet, du moins, par la manière dont ils sont présentés, ils font preuve d’une rare pénétration ; mais en même temps, la certitude de quelques principes et l’évidence de certaines données s’affaiblissent dans les distinc­tions d’une dialectique qui étend son domaine à toutes les parties de la philosophie. Il ne pouvait en être autrement à une époque où l’ignorance de l’observation psychologique concentrait tout l’effort de la pensée sur les nuances que l’on pouvait trouver dans le sens des mots, et où la victoire, dans la dispute, était plus souvent la récompense de la subtilité que celle du bon sens. Il ne faut pas oublier que c’est à la puissance de sa dialectique que Pierre d’Ailly dut sa gloire, et sans doute aussi le singulier surnom de Aquila Franciœ, et malleus a veritate aberrantium in­defessus, que lui donnèrent ses contemporains Les plus éminents de ses disciples furent le célè­bre Jean Gerson et Nicolas de Clémangis.

Le principal ouvrage de Pierre d’Ailly est ainsi intitulé : Pétri de Alliaco quœstiones super IV libb. Sententiarum. Argentor., 1490, in-f° Ellies Dupin a donné une Vie de Pierre d’Ailly dans le tome I des œuvres de Gerson, Anvers, 1706, 5 vol. in-f°. H. B.


AKIBA (Rabbi), l’un des plus célèbres docteurs du judaïsme. Après avoir vécu, dit-on, pendant cent vingt ans, il périt, sous le règne d’Adrien, dans les plus atroces tortures, pour avoir embrassé le parti du faux messie Barchochébas. Le Talmud en fait un être presque divin, ne craignant pas de l’élever au-dessus de Moïse lui-même, et, si l’on en croit la tradition, il aurait eu jusqu’à vingt-quatre mille disciples. Cependant, à considérer les souvenirs les plus authentiques qui nous soient restés de lui, il n’est guère possible de voir en lui autre chose qu’un casuiste et l’un des plus fa­natiques soutiens de ce que les Juifs appellent la Loi orale. Aussi n’aurait-il pas été nommé dans ce Recueil si l’on n’avait eu le tort de lui attri­buer l’un des plus anciens monuments delà kab­bale, le Sèpher ietzirah ou Livre de la création. On lui a également fait honneur d’une autre pro­duction beaucoup plus récente, et qui n’est pas tout à fait sans intérêt pour l’histoire du mysti­cisme. C’est un petit ouvrage en hébreu rabbinique qui a pour titre : les Lettres de Rabi Akiba (othioth schel Rabi Akiba, in-4, imprimé à Cracovie en 1579, et à Venise en 1556). L’auteur sup­pose qu’au moment où Dieu conçut le projet de créer l’univers, les vingt-deux lettres de l’alpha­bet