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pas au concile de Constance. On pense qu’il mourut vers 1440. Il avait été successivement trésorier de Langres et chantre à Bayeux. Fidèle à l’idée d’une réforme dont il avait démontré la nécessité, il ne consentit jamais à posséder plusieurs bénéfices à la fois, et il refusa une prébende qu’on voulait lui faire accepter dans l’église du Mans, ajoutant spirituellement (Epist. lxxvi) : Ne quo minus mihi restat viæ plus viatici quæsisse merito arguas. Ses liaisons avec Benoît XIII ne l’empêchèrent pas de le quitter, lorsqu’il ne douta plus que l’ambition ne fût l’unique mobile des actions de ce pontife.

Il n’est pas facile de savoir quelle direction philosophique suivit Nicolas de Clémangis. Ses lettres, conservées au nombre de cent trente-sept, ses nombreux écrits sur les vices des ecclésiastiques, et les abus invétérés dans l’Église, son traité même de Studio theologico, ne donnent point de lumières à ce sujet. Ce qui paraît certain, c’est le peu de cas qu’il faisait de la scolastique. Aussi sommes-nous disposés à penser que, s’il a adopté les idées de Pierre d’Ailly, son maître dans les matières alors controversées, ce fut sans attribuer à la dialectique une grande importance. Quelques indices nous portent à croire que, fatigué des arguties sans résultat de la philosophie des écoles, et dégoûté des vices qui réduisaient le clergé à l’impuissance, il chercha quelques diversions dans la culture des lettres et dans la lecture des livres saints. Il reproche, en effet, aux théologiens la négligence qu’ils mettaient à étudier l’Écriture sainte, et leur applique cette parole de saint Paul à Timothée : Languere circa quæstiones et pugnas verborum (I, c. vi, v 4) ; quod est sophistarum, ajoute-t-il, non theologorum. On n’apprend pas sans intérêt, par le passage qui suit immédiatement cette citation (Spicileg., t. VII, p. 150), quelle supériorité les scolastiques de ce temps attribuaient à la raison sur la parole de la Bible ; c’est, sous une forme moins hardie, la querelle des temps modernes entre la raison et la foi, et la recommandation que fait Nicolas de Clémangis de se soumettre à la parole sainte est presque un rappel à l’autorité. Nous croyons donc que cet écrivain, justement célèbre par l’élégance et la pureté de son style, plus lettré d’ailleurs que philosophe, partagea plutôt la réserve de Gerson que la confiance avec laquelle d’Ailly se voua à la dialectique qui fit sa puissance et sa gloire. Ses œuvres ont été publiées à Leyde, 1613, in-4.

H. B.


CLÉMENT (Titus Flavius), plus connu sous le nom de saint Clément d’Alexandrie, naquit dans cette ville, suivant les uns, à Athènes, selon d’autres, vers le milieu du second siècle de notre ère. Il avait été élevé dans la religion païenne ; mais les leçons de saint Pantène qu’il entendit en Égypte, après avoir fréquenté diverses écoles, le décidèrent à embrasser le christianisme. Vers 190, il succéda à son maître dans la foi comme catéchiste de l’école d’Alexandrie, fonctions qu’il remplit avec autant de zèle que d’éclat jusqu’en 202, où il paraît qu’une persécution ordonnée par l’empereur Septime Sévère l’obligea de se réfugier en Syrie. On ignore la date précise de sa mort, qui, dans toute hypothèse, ne doit pas être reculée au delà de 220.

Ce qui distingue Clément d’Alexandrie entre tous les Pères de l’Église, ce qui marque sa place dans l’histoire des sciences profanes, c’est une connaissance étendue et surtout une admiration sincère et éclairée de la philosophie ancienne. Loin de partager le sentiment de Tertullien et d’Athénagore, qui ne voyaient dans les brillants systèmes des écoles grecques qu’une inspiration du démon, il repousse une pareille opinion comme sacrilège. La philosophie est à ses yeux une œuvre divine, un bienfait de la Providence, dont la sagesse luit pour tous les peuples, tous les hommes et tous les temps. Les philosophes furent les prophètes du paganisme, et leurs enseignements ont préparé les voies du Christ chez les Gentils, comme l’ancienne loi chez les Hébreux.

Clément d’Alexandrie cependant ne se prononce pour aucune école à l’exclusion des autres. La philosophie, selon lui, n’est ni le stoïcisme, ni le platonisme, ni la doctrine d’Épicure, ni celle d’Arislote (Stromates, liv. I, ch. cxxiv), mais un choix de ce qu’il y a de meilleur dans ces divers systèmes. Il compare la vérité à une harmonie qui se compose de tons différents, et il en recueille de côté et d’autre les éléments épars, persuadé que tous les philosophes l’ont connue et que pas un ne l’a possédée entièrement. Il est, pour tout dire, partisan de l’éclectisme en philosophie, et le mot, comme la chose, se trouve dans ses ouvrages.

A part cette méthode générale, et en dehors du dogme chrétien, on ne saurait affirmer que saint Clément ait eu, comme philosophe, un corps arrêté de doctrines positives. Soit indécision dans la pensée, soit embarras de l’exprimer, soit obscurité volontaire, son exposition manque de netteté et présente d’apparentes contradictions dont il est quelquefois difficile de découvrir le secret. Ce qui paraît indubitable, c’est qu’au-dessus du raisonnement, au-dessus même de la foi, envisagée comme un effort de l’âme vers la pieté, saint Clément reconnaissait sous le nom de gnose un mode supérieur de connaissance, dont la perfection rend superflu tout autre genre d’instruction et réagit sur l’âme entière pour la purifier. Le véritable gnostique, tels que furent les apôtres, sait toutes choses d’une science certaine, même celles dont nous ne pouvons rendre raison, parce qu’il reste le disciple du Verbe, à qui rien n’est incompréhensible. Il est étranger aux passions qui tourmentent les hommes, la tristesse, l’envie, la colère, l’émulation, l’amour. La douceur de la contemplation, dont il se repaît à tout instant sans en être rassasié, le rend insensible aux plaisirs du monde. Il supporte la vie, par obéissance à la loi divine ; mais il a dégagé son âme des désirs terrestres.

Saint Clément paraît n’avoir pas admis que l’existence divine pût se démontrer ; car, dit-il, chaque chose doit se démontrer par ses principes, et Dieu n’a pas de principes. Il considérait même comme purement négative la connaissance que nous avons de l’Être divin. Selon lui, Dieu n’est ni le bon, ni l’un, ni esprit, ni essence, ni Dieu, ni Père à proprement parler : nous n’employons ces magnifiques appellations que pour fournir à l’intelligence un point où elle puisse s’appuyer. Dieu est élevé au-dessus de toutes choses et de tout nom ; il est l’infini que nulle pensée ne peut embrasser. Toutefois, saint Clément n’hésite pas à regarder la bonté comme l’attribut primitif et essentiel de Dieu, qu’elle porte à répandre le bien autour de lui, comme le feu échauffe, comme le soleil éclaire, mais sous la réserve d’une liberté suprême. Tel a été le motif de la création du monde ; car, malgré le témoignage contraire de Photius et les expressions vagues dont se sert Clément, il paraît bien avoir admis ce dogme important. Il maintient, du reste, un rapport si étroit entre l’univers et son auteur, que les choses, dit-il (Pædag., lib. III, c. cxv), sont les membres de Dieu ; que Dieu est tout et que tout est Dieu, paroles remarquables qui montrent avec quelle force les Pères de l’Église ont quelquefois voulu indiquer la présence et l’action