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philosophie ancienne dans les gymnases de la Prusse, et a eu plusieurs éditions ; — Pensées de Cicéron, par l’abbé d’Olivet, in-12, Paris, 1744, souvent réimprimées ; Chrestomathie cicéronienne de Gesner ; — Extraits philosophiques de Cicéron, précédés d’une notice sur sa vie et sur ses ouvrages, in-12, Paris, 1842 ; — Le Geay, M. T. Cicero, philosophiœ historicus, 1845, in-8, Parisiis. On peut consulter encore Cicéron et ses amis, par M. G. Boissier, Paris, 1865, in-8.

L. D. L.


CLARKE (Samuel) est né en 1675 à Norwich, et mort en 1729. De sa vie et de ses travaux, une part revient à la religion, une autre, qui n’est ni la moins étendue ni la moins honorable, à la philosophie.

Le rôle de Clarke, comme philosophe, a été de défendre, contre les extravagances systématiques de tout genre, les grandes vérités naturelles de l’ordre moral et religieux. Sa vie s’est consumée à combattre toute violation flagrante du bon sens, toute dégradation de la dignité morale de l’homme. Il n’a rien fondé de bien grand ; mais il a plaidé toutes les bonnes causes contre tous les mauvais systèmes, celle de Dieu et de ses perfections contre l’athéisme de Hobbes et le panthéisme de Spinoza, celle de la spiritualité et de l’immortalité des âmes contre Locke et Dodwell, celle du libre arbitre contre Collins, celle du désintéressement contre les moralistes formés à l’école de Locke. La philosophie de son pays lui a fourni, comme on voit, ses principaux adversaires et presque toutes les occasions de ses combats ; c’est qu’en effet l’Angleterre a été depuis Bacon, et elle était surtout devenue, avec Locke, comme la patrie de l’empirisme ; cette philosophie y est née au xviie siècle ; elle y a porté, en s’y développant régulièrement, toutes ses tristes conséquences. Clarke est du petit nombre des hommes généreux qui ont protesté contre la philosophie régnante ; il apportait à cette tâche, avec un cœur noble et un esprit droit, une éducation toute cartésienne, puisée à l’Université de Cambridge, et dont l’influence, plus forte qu’il ne le croyait lui-même, le soutenait dans ses résistances. Cependant il n’a positivement embrassé aucune école, comme il n’en a fondé aucune ; il faisait servir la physique de Newton, son maître d’adoption, à corriger celle de Rohault ; il livrait d’aussi rudes attaques à Spinoza qu’à Hobbes, aux excès du rationalisme qu’aux extravagances de l’empirisme, toujours fermement attaché au sens commun au milieu des aberrations de l’esprit de système, adversaire né de toutes les folies honteuses ou funestes, de quelque part qu’elles vinssent ou de quelque grand nom qu’elles fussent appuyées.

La théodicée de Clarke est, au fond, celle du rationalisme, mais d’un rationalisme tempérant. Il ne proscrit pas absolument la preuve a posteriori de l’existence de Dieu ; il la trouve à tout le moins morale et raisonnable, mais métaphysiquement insuffisante ; elle n’établit pas les attributs essentiels de Dieu : ni l’éternité, ni l’immensité, ni l’infinitude, ni la toute-puissance, ni l’unité divines ne peuvent rigoureusement résulter de l’expérience et des faits. La vraie preuve, c’est la preuve métaphysique, c’est l’argument a priori qui se tire de la nécessité. « L’existence de la cause première est nécessaire, nécessaire, dis-je, absolument et en elle-même. Cette nécessité, par conséquent, est a priori et dans l’ordre de nature, le fondement et la raison de son existence. »

« L’idée d’un être qui existe nécessairement s’empare de nos esprits, malgré que nous en ayons, et lors même que nous nous efforçons de supposer qu’il n’y a point d’être qui existe de cette manière… Et si on demande quelle espèce d’idée c’est que celle d’un être dont on ne saurait nier l’existence sans tomber dans une manifeste contradiction, je réponds que c’est la première et la plus simple de toutes nos idées, une idée qu’il ne nous est pas possible d’arracher de notre âme, et à laquelle nous ne saurions renoncer sans renoncer tout à fait à la faculté de penser. » Telle est la preuve principale dont on peut lire le développement dans le Traité de l’existence de Dieu ; Clarke y démontre les propositions suivantes, exprimées et enchaînées en manière de théorèmes ; 1° Quelque chose a existé de toute éternité, puisque quelque chose existe aujourd’hui ; 2° Un être indépendant, et immuable a existé de toute éternité ; car, le monde étant un assemblage de choses contingentes, qui n’a pas en soi la raison de son existence, il faut que cette raison se trouve ailleurs, dans un être distingué de l’ensemble des choses produites, par conséquent indépendant, par conséquent immuable ; 3° Cet être indépendant et immuable qui a existé de toute éternité, existe aussi par lui-même ; car il ne peut être sorti du néant, et il n’a été produit par aucune cause externe.

Cette argumentation de Clarke, avec l’exposition, qui la complète, de la toute-puissance, de la sagesse parfaite et de la justice de Dieu, est peut-être ce qu’il y a de meilleur dans son livre ; ce n’est pas assurément ce qui en est le plus original et le plus nouveau. Dans le courant du même écrit, on rencontre un autre argument, d’abord· ajouté aux premiers, comme pour en fortifier l’effet, et, en quelque sorte, insinué dans la discussion principale ; plus tard dégagé sous une forme plus précise, articulé avec plus de force, proposé comme indépendant de tout le reste, et qui est devenu enfin, l’attaque et la résistance aidant, l’opinion la plus chère à Clarke, son titre philosophique, la doctrine à laquelle son nom demeure attaché, et par laquelle il est surtout connu dans l’histoire. C’est l’argument célèbre qui conclut Dieu des idées de temps et d’espace. Clarke l’avait emprunté aux idées de son maître Newton ; il l’a défendu avec opiniâtreté contre Leibniz. On peut, en prenant ses dernières expressions, l’exposer à peu près ainsi : Nous concevons un espace sans bornes, ainsi qu’une durée sans commencement ni fin Or ni la durée ni l’espace ne sont des substances, mais bien des propriétés, des attributs ; et toute propriété est la propriété de quelque chose ; tout attribut appartient à un sujet. Il y a donc un être réel, nécessaire, infini, dont l’espace et le temps, nécessaires et infinis, sont les propriétés, qui est le substratum ou le fondement de la durée et de l’espace. Cet être est Dieu.

Telle est la doctrine qui a suscité à Clarke son plus redoutable adversaire, Leibniz. Celui-ci, armé d’une dialectique impitoyable, retire à l’espace et au temps, avec la qualité d’êtres réels et distincts, indépendants des événements et du monde, le rang d’attributs de Dieu.

D’abord, ni l’espace ni la durée ne sont une propriété de Dieu. L’espace a des parties, et Dieu est un ; son unité est l’unité parfaite, absolue, qui exclut non-seulement la division actuelle, mais la division possible et mentale. Il ne sert donc de rien de répondre, comme le fait Clarke, que l’espace infini n’est pas véritablement divisible ; tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il n’est pas divisé ; c’est que ses parties ne sont point séparables et ne sauraient être éloignées les unes des autres par discerption. Mais, séparables ou non, l’espace a des parties que l’on