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11 résulte de ces explications que le Taï-ki, dans le système des lettrés modernes, représente la substance absolue et l’état où elle se trouvait à l’époque qui a précédé toute manifestation dans l’espace et le temps ; que ce même Taï-ki pos­sédait en lui-même une force ou énergie latente qui prend le nom de cause efficiente et formelle, à l’époque de sa manifestation dans l’espace et le temps ; que cette manifestation est représentée par deux grands modes ou accidents : le mouve­ment et le repos, qui ont donné naissance aux cinq éléments, et ceux-ci à tous les êtres de l’univers.

Maintenant, quel rôle joue l’homme dans ce système ? quelle est sa nature ? Selon Tchéou-lienki, aucun autre être de la nature n’a reçu une intelligence égale à celle de l’homme. Cette in­telligence, qui se manifeste en lui par la science, est divine ; elle est de la même nature que la raison efficiente [Li) d’où elle est dérivée, et que tout homme reçoit en naissant (Tchou-hi, Œuvres complètes, k. 51, f° 18). A côté, et comme terme corrélatif du Li, ou principe rationnel, les philosophes de l’école dont nous parlons placent le Khi, ou principe matériel, dont la portion pure est une espèce d’âme vitale, et dont la portion grossière ou impure constitue la substance corporelle. En outre, l’homme a aussi en lui les deux principes du mouvement et du repos : l’in­telligence, la science, représentent le premier ; la forme, la substance corporelle, tout ce qui constitue le corps enfin, se rapportent au second. La réunion de ces principes et de ces éléments constitue la vie ; leur séparation constitue la mort. Quand celle-ci a lieu, le principe subtil, qui se trouvait uni à la matière, retourne au ciel ; la portion grossière de la forme corporelle retourne à la terre (Thou-hi, Œuvres complètes, k. 51, f° 19). Après la mort, il n’y a plus de person­nalité.

Le sage s’impose la règle de se conformer, dans sa conduite morale, aux principes éternels de la modération, de la droiture, de l’humanité et de la justice, en même temps qu’il se procure, par l’absence de tous désirs, un repos et une tranquillité parfaits. C’est pourquoi le sage met ses vertus en harmonie avec le ciel et la terre ; il met ses lumières en harmonie avec celles du soleil et de la lune ; il arrange sa vie de manière qu’elle soit en harmonie avec les quatre saisons, et il met aussi en harmonie ses félicités et ses calamités avec les esprits et les génies (Sing-lihoéï-thoung, k. 1, f° 47).

Les esprits et les génies ne sont rien autre chose que le principe actif et le principe passif ; ce n’est que le souffle vivifiant qui anime et parcourt la nature, qui remplit l’espace situé entre le ciel et la terre, qui est le même dans l’homme que dans le ciel et dans la terre, et qui agit toujours sans intervalle ni interruption [Ib.).

Il y a des écrivains chinois qui ont donne un sens plus spiritualiste aux textes de leurs anciens livres, surtout depuis l’arrivée en Chine des missionnaires chrétiens de l’Europe ; mais nous pensons que ces interprétations ne peuvent changer en rien l’ensemble des systèmes et des opinions que nous avons cherché à esquisser avec la plus grande exactitude possible.

Nous ne pousserons pas plus loin l’exposition du système philosophique des lettrés modernes, qui embrasse le cercle entier de la connaissance humaine ; ce que nous en avons dit suffira pour faire comprendre de quelle importance serait, pour l’histoire de la philosophie, un exposé un peu complet des écoles et des systèmes que nous n’avons pu qu’esquisser. Nous ne craignons pas d’avancer qu’il y a là un côté ignoré de l’esprit humain, un côte des plus curieux à dévoiler et à faire connaître.

Nous nous sommes attachés à indiquer les principales doctrines de la philosophie chinoise et ses principaux représentants, en négligeant les représentants secondaires ; mais il ne faudrait pas conclure de ce silence que la philosophie chinoise n’a qu’un petit nombre de systèmes et de philosophes à révéler à l’Europe : nulle part la philosophie n’a eu de si nombreux apôtres et écrivains qu’en Chine, depuis trois mille ans où elle est, en quelque sorte, l’occupation universelle des hommes instruits. On pourra se faire une idée de ce mouvement intellectuel lorsqu’on saura que du temps de Han, au commencement de notre ère, l’historien Sse-ma-thsian comptait déjà six écoles de philosophie. L’auteur de la Statistique de la littérature et des arts, publiée sous la même dynastie, en énumère dix. Elles augmen­tèrent encore beaucoup par la suite. Ma-touan-lin en énumère une quinzaine, au nombre desquelles on compte l’école des Lettrés, l’école du Tao, l’école des Légistes, l’école mixte, etc.

Les écrits que l’on peut consulter sur la phi­losophie chinoiee, en général, mais concernant l’école des Lettrés seulement, la seule dont on ait traité jusqu’ici, sont : 1° un opuscule du P. Longobardi, écrit originairement en latin, dont on ne connaît que des traductions incomplètes, espagnole, portugaise et française^ ; cette dernière publiée sous le titre de Traite sur quelques points de la religion des Chinois, in-18, Paris, 1701, réimprimée dans les œuvres de Leibniz, avec des remarques de ce philosophe ; 2° l’ouvrage du P. Noël intitulé Philosophia sinica, in-4, Prague, 1711. L’article sur la philosophie chi­noise attribué à Ab. Rémusat, et publié dans le premier numéro de la Revue trimestrielle, n’est guère qu’un essai littéraire destiné aux gens du monde ; 3“ Esquisse d’une histoire de la philo­sophie chinoise, par G. Pauthier, Paris, 1844. Cet ouvrage, composé d’après les textes originaux, renferme la traduction d’un grand nombre de passages des philosophes chinois ; 4° la Morale chez les Chinois, par Aug. Martin, Paris ; 1862, in-12.

Quant aux traductions des textes, les voici énnmérées par ordre de date :

Confucius, Sinarum philosophus, traduit en latin par quatre missionnaires jésuites, in-f°, Paris, 1687 ; 2° Sinensis imperii libri classici sex, traduits par le P. Noël, in-4. Prague, 1711 ; 3“ le Choû-Kîng ou le Livre des Annales, traduit par le P. Gaubil et publié par de* Guignes le père, in-4, Paris, 1770 ; 4° le Tchoûng-yoûng, le second des livres classiques, traduit par M. Abel Rémusat et publié dans le tome X des Notices et extraits des manuscrits, in-4 ; 5° le Meng-tseu, le quatrième des Quatre livres classiques, re­traduit en latin par M. Stan. Julien, in-8, Paris, 1824-1829 ; 6° the Four books, les Quatre livres classiques, traduits en anglais par M. Collie, 1828, Malacca. Une traduction anglaise du Tahio et la première partie du Lun-yu avaient déjà été publiées par M. Marshman, àSerampoore, en 1809 et 1814 ; 7" le Y-Kîng, antiquissimus Sinarum liber, quem ex latina interpretatione P. Regis, aliorumqueex Societ. Jesu P. P. edidit. J. Mohl., in-8, Stuttgart, 1834-1839 ; 8° le Τα-hio ou la Grande Étude, le premier des Quatre livres classiques, trad. en français avec une version latine et le texte chinois en regard, accompagné du Commentaire complet de Tchou-hi, etc., par M. G. Pauthier, gr. in-8, Paris, 1837 ; 9° le Tao-teKing, ou le Livre révéré de la Raison suprême et de la Vertu, par Lao-tseu, traduit en français et