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quence de ce système, Lao-tseu prescrit de faire en sorte que le peuple soit sans instruction et, par conséquent, sans désirs ; les désirs, ^ et les troubles qui en résultent, étant les résultats inévitables du savoir, selon cette doctrine qui veut le maintien de l’homme dans la simplicité et dans l’ignorance, regardée comme son état naturel et primitif. Tels sont les sentiments adoptés, 600 ans avant notre ère, par un des plus grands penseurs de la Chine.

Nous ne pouvons que citer ici les noms des principaux philosophes qui se rattachent à l’école de Lao-tseu. Ce sont : Kouan-yun-tseu. contem­porain de Lao-tseu, et qui composa un livre pour développer les idées de ce dernier philosophe ; Yun-wen-tseu, disciple de Lao-tseu ; Kia-tseu et Han-feï-tseu (400 ans avant notre ère) ; Lie-tseu (398 ans avant notre ère) ; Tchouang-seu (338) ; llo-kouan-tseu et Hoaï-nan-tseu, quoique ce der­nier, prince philosophe, qui vivait à peu près deux siècles après notre ère, soit placé, par quel­ques critiques chinois, au nombre des disciples d’une autre école, dite école mixte (Tsa-Kia).

École des Lettrés (Jou-Kia).—La philosophie des lettrés reconnaît pour son chef Confucius (Koung-tseu) et pour ses fondateurs plusieurs rois ou empereurs, qui tous vivaient plus de vingt siècles avant notre ère. Elle remplit une période de deux à trois cents ans (du vc au n* siècle av. J. C.), et compte un grand nombre de sectateurs parmi lesquels il faut comprendre Mencius(Mengtseu) et ses disciples.

La doctrine de Confucius sur l’origine des cho­ses et l’existence d’un premier ctre est assez dif­ficile à déterminer, parce qu’il ne l’a exposée nulle part d’une manière explicite : soit qu’il con­sidérât l’enseignement de la morale et de la po­litique comme d’une efficacité plus immédiate et plus utile au bien-être du genre humain que les spéculations métaphysiques, soit que l’objet de ces dernières lui parût au-dessus de l’intelli­gence humaine, Confucius évita toujours d’ex­primer son opinion sur l’origine des choses et la nature du premier principe. Aussi un de ses dis­ciples, Tseu-lou, dit-il dans ses Entretiens phi­losophiques (Lûn-yu, k. iii) : « On peut souvent entendre notre maître disserter sur les qualités qui doivent former un homme distingué par ses vertus et ses talents ; mais on ne peut obtenir de lui qu’il parle sur la nature de l’homme et sur la voie céleste. ■ »

« La nature de l’homme, dit à ce sujet le cé­lèbre commentateur Tchou-hi, c’est la raison ou le principe céleste que l’homme reçoit en nais­sant ; la voie céleste} c’est la raison céleste qui est une essence primitive, existant par elle-même, et qui, dans sa réalité substantielle, est une rai­son ayant l’unité pour principe. »

On lit encore ailleurs (liv. I, ch. vu, § 20) :

« Le philosophe ne parlait dans ses entretiens, ni des choses extraordinaires, ni de la bravoure, ni des troubles civils, ni des esprits. » Enfin, dans un autre endroit des mêmes Entretiens philosophiques (k. vi), on lit : « Ki-lou demanda comment il fallait servir les esprits et les génies.

  • Le philosophe dit : Lorsqu’on n’est pas encore en état de servir les hommes, comment pourraiton servir les esprits et les génies ? —Permettezmoi, ajouta le disciple, de vous demander ce que c’est que la mort. Le philosophe dit : Lors­qu’on ne sait pas ce que c’est que la vie, com­ment pourrait-on connaître la mort ?  »

La pensée du philosophe chinois sur les grandes questions qui ont tourmenté tant d’esprits res­terait donc complètement impénétrable pour nous, si nous ne cherchions à la découvrir dans les ex­plications qu’il a données du Livre des Trans­formations (Y-Kîng). On peut dire, il est vrai, que dans les explications de cet ancien livre, c’est plutôt la pensée de l’auteur ou des auteurs qu’il a exposée, que la sienne propre. Mais, comme Confucius se proclame en plusieurs endroits de ses ouvrages le continuateur des anciens sages, le propagateur de leurs doctrines, ces mêmes doctrines peuvent être d’autant plus légitimement considérées comme les siennes, qu’il opéra sur les écrits de ses devanciers un certain travail de révision. Or, quelque bonne volonté que l’on ait, il serait bien difficile, après un examen attentif de ces textes, d’en dégager le dogme d’un Dieu distinct du monde, d’une âme séparée de toute forme corporelle, et d’une vie future. Ce que l’or y trouve réellement, c’est un vaste naturalisme qui embrasse ce que les lettrés chinois nomment les trois grandes puissances de la nature, à sa­voir : le ciel, la terre et l’homme, dont l’influence et l’action se pénètrent mutuellement, tout en réservant la suprématie au ciel.

Que l’on ne se méprenne point cependant sur notre pensée. Nous sommes loin de prétendre ue les doctrines des anciens Chinois, et celles e Confucius en particulier, aient été matéria­listes ; rien ne serait plus opposé et aux faits et à notre opinion personnelle. Aucun philosophe n’a attribué au ciel une plus grande part dans les événements du monde, une influence plus grande et plus bienfaisante, que Confucius et son école. C’est le ciel qui donne aux rois leur man­dat souverain pour gouverner les peuples, et qui le leur retire quand ils en font un usage con­traire à sa destination. Les félicités ainsi que les calamités publiques et privées viennent de lui. La loi ou la raison du ciel est la loi suprême, la loi universelle, la loi typique, si on peut s’ex­primer ainsi, qu’il infuse dans le cœur de tous les hommes en même temps que la vie, dont il est aussi le grand dispensateur. Tous les attributs que les doctrines les plus spiritualistes donnent à Dieu ; l’école de Confucius les donne au ciel, excepte, toutefois, qu’au lieu de le reléguer loin du monde et d’en faire une pure abstraction, il est dans le monde elen fait essentiellement par­tie. Le ciel est l’exemplaire parfait de toute puis­sance, de toute bonté, de toute vertu, de toute justice. « Il n’y a que lui, comme il est dit dans le Livre des Annales, qui ait la souveraine, l’u­niverselle intelligence ; » et, comme dit à ce su­jet Tchou-hi, il n’est rien qu’il ne voie et rien qu’il n’entende, et cela, « parce qu’il est souve­rainement juste. »

Quant à la doctrine morale de Confucius, le philosophe chinois part du principe que l’homme est un être qui a reçu du ciel, en même temps que la vie physique, un principe de vie morale, qu’il doit utiliser et développer dans toute son etendue afin de pouvoir arriver à la perfection, conformément au modèle céleste ou divin. Ce principe est immatériel, ou, s’il est matériel, il est d’une nature tellement subtile, qu’il échappe à tous les organes des sens. Son origine est cé­leste, par conséquent il est de la même nature que le ciel ou la raison céleste.

Le fondement de la morale de Confucius exclut formellement tout mobile qui ne rentrerait pas dans les prescriptions de la raison, de cette rai­son universelle émanée du ciel,’et que tous les êtres ont reçue en partage. Aussi sa morale estelle une des plus pures qui aient jamais été en­seignées aux hommes, et en même temps, ce qui est plus important peut-être ; une des plus con­formes à leur nature.

Confucius a eu la gloire de proclamer, le pre­mier de tous les philosophes de l’antiquité, que

  1. e perfectionnement de soi-même était le principe