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ou Livre par excellence, dont la rédaction est due à Confucius (vie siècle avant notre ère), que cette puissance providentielle est représen­tée comme agissant d’une manière non équivoue sur le cours des événements. Ce ciel provientiel est représenté, dans l’ancien texte du Y-Kîng. par trois lignes convexes superposées, à peu près comme les Égyptiens représentaient le ciel dans leur écriture hiéroglyphique.

Après le Livre des Transformations, le plus ancien monument de la philosophie chinoise est un fragment du Livre des Annales (Choû-Kmg) intitulé la Sublime doctrine, que le ministre philosophe Ki-tseu dit avoir été reçue autrefois du ciel’par le grand Yu (2200 ans avant notre ère), et qu’il expose au roi Wou-wang, de 1122 à 1166 avant notre ère. Le roi interroge le phi­losophe sur les voies secrètes que le ciel emoloie pour rendre les peuples heureux et tran­quilles, et le prie de lui expliquer ces voies qu’il ignore." Ki-tseu répond au roi en lui exposant tout un système de doctrines abstraites et de catégories restées fort obscures pour nous, mal­gré les explications des commentateurs chinois.

Il dit d’abord que la Sublime doctrine com­prend neuf règles ou catégories fondamentales, dont la cinquième, celle qui concerne le souve­rain, est le pivot ou le centre. La première ca­tégorie comprend les cinq grands éléments, qui sont Y eau, le feu, le bois, les métaux, la terre. La seconde comprend les cinq facxdtés actives, qui sont l’attitude ou la contenance, le langage, la vue, l’ouïe, la pensée. La troisième comprend les huit principes ou règles de gouvernement concernant la nourriture ou le nécessaire à tous, la richesse publique, les sacrifices et les cérémonies, Y administration de la justice, etc. La quatrième comprend les cinq choses périodi­ques, à savoir:l’année, la lune, le soleil, les étoiles, planètes et constellations, les nombres astronomiques. La cinquième comprend le faîte impérial ou pivot fixe du souverain qui consti­tue la règle fondamentale de sa conduite appli­quée au bonheur du peuple. La sixième com­prend les trois vertus, qui sont la vérité et la droiture, la sévérité ou Y indulgence dans l’exer­cice du pouvoir. La septième comprend l’exa­men des cas douteux par sept différents pronos­tics. La huitième comprend l’observation des phénomènes célestes. Enfin la neuvième com­prend les cinq félicités et les six calamités (la somme des maux dans la vie dépassant celle des biens).

Voilà une esquisse rapide des idées philoso­phiques de la Chine, pendant la première période^ celle qui a précédé la philosophie grecque. La période suivante, qui correspond à celle de Thalès,. de Pythagore et de tous les philosophes grecs jusqu’à Zénon, est la plus féconde et la plus brillante.

Seconde période. Elle commence au vie siè­cle avant notre ère, avec deux grands noms, Lao-tseu et Confucius (Khoung-tseu), chefs de deux écoles qui se sont partagé avec une troi­sième, fondée six cents ans plus tard (celle de Fo ou Bouddha), toutes les intelligences de la Chine.

La méthode suivie par ces deux anciens philo­sophes n’est pas moins différente que leurs doc­trines. Lao-tseu, dévoré du besoin de s’expliquer l’origine et la destination des êtres, prend pour base une première cause et pour point de départ l’unité primordiale. Confucius est plus préoc­cupé du perfectionnement de l’homme, de sa nature et de son bien-être, que des questions purement spéculatives, qu’il regardait d’ailleurs comme inaccessibles à la raison humaine, ou comme résolues par la tradition et par les écrits des saints hommes dont il se disait seulement le continuateur et l’interprète. Ce n’est pas qu’il méconnût l’existence des causes; au contraire, il s’attache scrupuleusement à étudier, à scruter celles qui ont les rapports les plus directs avec le cœur de l’homme, pour bien déterminer sa nature et pour reconnaître les lois qui doivent présider à ses actions dans toutes les circonstan­ces de la vie. Pour lui, le ciel intelligent, le ciel providentiel est partout et toujours l'exemplaire sublime et éternel, sur lequel l’homme doit se modeler et que doit suivre l’humanité entière, depuis celui qui a reçu la haute et grave mis­sion de gouverner les hommes, jusqu’au dernier de ses sujets. Pour Confucius, le ciel est la per­fection même. L’homme, étant imparfait de sa nature, a reçu du ciel, en naissant, un principe de vie qu’il peut porter à la perfection en se conformant à la loi de ce principe, loi formu­lée ainsi par lui-même : « Depuis l’homme le plus élevé en dignité, jusqu’au plus humble et au plus obscur, devoir égal pour tous : corriger et améliorer sa personne, ou le perfectionne­ment de soi-m^me, est la base fondamentale de tout progrès moral. » (Tâ-hio, ch. i, § 6.)

École du Tao (Tao-Kia), ou Conception phi­losophique de Lao-tseu. La conception philoso­phique de Lao-tseu est un panthéisme absolu dans lequel le monde sensible est considéré comme la cause de toutes les imperfections et de toutes les misères, et la personnalité humaine comme un mode inférieur et passager du grand Être, de la grande Unité, qui est l’origine et la fin de tous les êtres.

Dès le début de son livre, intitulé Tao-te-Kîng, ou le Livre de la Raison suprême et de la Vertu, Lao-tseu s’efforce d’établir le caractère propre et absolu de son premier principe et la démarca­tion profonde, infranchissable qui existe entre le distinct et l’indistinct, le limité et l'illimité, le périssable et l’impérissable. Tout ce qui, dans le monde, est distinct, limité, périssable, appar­tient au mode phénoménal de son premier prin­cipe, de sa première cause, qu’il nomme Tao, Voie, Raison ; et tout ce qui est indistinct, illi­mité^ impérissable, appartient à son mode d’être transcendantal.

Ces deux modes d’être de la première cause de Lao-tseu ne sont point coéternels : le mode transcendant a précédé le mode phénoménal. C’est par la contemplation de son premier mode d’être que se produisent toutes les puissances transcendantes, comme c’est aussi par la con­templation de son second mode d’être que se produisent toutes les manifestations phénomé­nales.

Lao-tseu est le premier philosophe de l’anti­quité qui ait positivement et nettement établi qu’il n’était pas au pouvoir de l’homme de don­ner une idée adéquate de Dieu ou de la première cause, et que tous les efforts de son intelligence pour le définir n’aboutiraient qu’à prouver son impuissance et sa faiblesse. Dans plusieurs en­droits de son livre, Lao-tseu dit que, forcé de donner un nom à la première cause pour pouvoir en parler aux hommes, celui qu’il a choisi n’en donne qu’une idée très-imparfaite, mais suffit cependant à rappeler quelques-uns de ses attri­buts éternels : c’est le caractère figuratif Tao, dont la composition signifiait d’abord marche intelligente, voie droite, mais dont le sens s’é­lève quelquefois jusqu’à l’idée d’intelligence souveraine et directrice, de raison primordiale, comme le Logos des Grecs. De sorte que ce terme chez Lao-tseu est pris tout à la fois au propre et au figuré, dans un sens matériel et dans