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il pourra se demander si elles réfléchis­sent exactement la nature des choses, ou si d’au­tres cieux et une nouvelle terre ne s’offriraient pas aux regards d’une intelligence différemment organisée ; et, placé comme nous dans l’impuis­sance d’éclaircir avec sa raison ce soupçon qui atteint sa raison même, il devra rester sous le poids d’une éternelle incertitude. Le scepticisme deviendrait donc la loi commune de tous les es­prits, depuis l’homme jusqu’à Dieu, et la pos­session de la vérité n’appartiendrait pas même à cette raison infinie qui doit tout connaître, puisqu’elle a tout créé.

On découvre d’ailleurs dans la doctrine de Kant la contradiction inhérente à tous les sys­tèmes, qui affaiblissent, à tel degré que ce soit, la portée légitime de la raison. Elle peut être dissimulée plus habilement, mais elle n’en existe pas moins. En effet, quel est le résultat des analyses profondes, et cependant si incom­plètes, du philosophe allemand ? C’est que nous connaissons les choses en tant qu’hommes seu­lement ; qu’il peut se faire que nos facultés nous trompent ; que, notre organisation venant à changer, rien ne prouve que nous ne verrions pas les objets d’une manière différente. Or, sous la forme d’une simple hypothèse, ces trois juge­ments ont au plus haut degré un caractère dog­matique qu’il est impossible de méconnaître; ils reviennent à dire : 11 est vrai, d’une vérité abso­lue, que la vérité absolue nous échappe. Ainsi, au fond des incertitudes du philosophe, est ca­chée une affirmation qui en démontre la va­nité.

Concluons que l’autorité de la raison ne sau­rait être ni contestée ouvertement, ni infirmée d’une maniéré indirecte. On l’a souvent dit, et nous tenons, en terminant, à le répéter, l’homme ne doit pas espérer de pouvoir connaître toutes choses. Être imparfait et borné, une partie de la réalité ne cessera de lui échapper. La est le se­cret de notre ignorance et de nos erreurs, dont le pyrrhonisme s’est fait tant de fois une arme contre la certitude. Mais si notre science doit rester à jamais incomplète, elle n’est pas pour cela illusoire, et ce qu’il importe de remarquer, à l’éternel honneur de l’esprit humain, les véri­tés les plus importantes sont précisément celles qui nous sont le mieux démontrées. On peut consulter Javary, de la Certitude, Paris, 1847, in-8 ; Franck, de la Certitude, rapport à l’Académie des sciences morales et poli­tiques, Paris, 1847, in-8.

  • Voyez les articles Scepticisme, Kant, Doute, etc.C. J.

CÉSALPIN (Andréa Cesalpino), né en 1519 à Arezzo, en Toscane, fit d’abord des études assez médiocres ; mais lorsqu’une fois il fut débarrassé du joug de l’école, et qu’il eut obtenu le titre de médecin, il développa des talents que ses dé­buts n’auraient pu faire présager. Animé du vé­ritable esprit du péripatétisme, il attaqua la scolastique sans ménagement. C’est assez dire qu’il se fit un grand nombre d’ennemis, à la tête desquels on remarque Samuel Parker, ar­chidiacre de Cantorbéry, et Nicolas Taurel, mé­decin de Montbéliard. Ils n’eurent cependant pas assez de crédit pour le faire déférer au tri­bunal de l’inquisition, ni même pour lui faire perdre la confiance de la jeunesse qui se pres­sait à ses leçons ; car il enseigna la philosophie et la médecine d’abord à Pise, puis au collège de la Sapience à Rome, où il fut appelé par Clé­ment VIII, qui le fit son premier médecin. Il pressentit la découverte de Harvey, ou la grande circulation ; car il n’a décrit que la petite, ou la circulation pulmonaire (G. Cuvier, llist. des sc.

nat., t. II, p. 41). Mais il inventa le premier système de botanique fondé sur la forme de la fleur et du fruit et sur le nombre des graines. Son livre des Plantes est remarquable ] ar la lo­gique et la méthode. « On y voit, dit G. Cuvier (.Ibid., p. 198), des traces de l’étude profonde que l’auteur avait faite d’Aristote : c’est, en un mot, une œuvre de génie. » Le même esprit d’a­nalogie, de logique et de méthode lui fit classer aussi les métaux de la manière la plus satisfai­sante (Ibid., p. 236). Mais, quelque puissance de raison que ces divers travaux annoncent, le philosophe d’Arezzo a des titres plus directs en­core pour figurer parmi les philosophes les plus éminents du xvie siècle. Voici quelques-unes des idées qu’il a exposées dans ses Questions péri­patéticiennes (quest. 1 et 3). La substance pre­mière ne peut être la matière brute et grossière, ni même la matière organisée. La matière a dû être précédée de la forme formatrice et vivi­fiante. Le principe de toutes les formes est Dieu, l’intelligence première et suprême, et, par con­séquent, l’acte absolument pur, simple et pre­mier.

La substance primitive est donc la force pri­mitive, l’intelligence première, le bien originel, ou absolument digne d’amour ; cette substance n’a rien de commun avec la quantité et ne peut absolument pas être appelée finie ou infinie. L’intelligence première n’a pas, non plus, créé ou agi dans un but proprement dit, puisqu’elle est la fin des fins, et qu’elle est immuable en elle-même (Ibid., quest. 3).

Le bien absolu ou divin, étant seul absolu­ment désirable (unum divinum appetibile), il doit y avoir aussi quelque chose qui soit capa­ble de le désirer. Il existe donc, indépendam­ment d’une substance primitive, d’autres sub­stances, qui sont redevables de leur existence à la première, et qui ne sont même des substan­ces que suivant la me ure d’après laquelle elles participent du principe de la forme vivifiante. C’est ce principe qui constitue l’unité du monde (Ibid., quest. 7).

Les genres et les espèces sont éternels· les individus seuls ont une existence passagere : car, malgré la mort des individus, la substance primitive et éternellement active conserve tou­jours l’impérissable facuité de produire, et pro­duit en effet toutes les espèces d’êtres (Ibid., liv. V, quest. 1).

De toutes les choses créées, c’est le ciel qui approche le plus de la perfection de l’intelligence suprême : car, de même que cette intelligence ne relève que d’elle-même, voit tout en elle (Receptio sui ipsius, non alterius), de même, le ciel s’appartient à lui-même, puisqu’il est con­stamment dans le même lieu (Ibid., liv. III, quest. 3 et 4).

Toutes les créatures qui se propagent actuel­lement par la voie de la génération pourraient également résulter de l’action de la chaleur cè­le 4e sur certains mélanges de matières. Les ani­maux supérieurs pourraient encore sortir de la terre humide et échauffée par la chaleur fécon­dante du soleil, si tous les individus qui compo­sent actuellement ces espèces d’animaux ve­naient à périr. C’est ainsi que nous voyons encore tous les jours des insectes se former au sein de la putréfaction (Ibid., liv. V, quest. 1). Mais la propagation ordinaire et celle qui naît de la corruption supposent également uue for­mation primitive.

De tous les êtres périssables, l’homme seul a une âme pensante et immortelle. L’action de l’âme est, en soi, indépendante de l’organisme (Ibid., liv. II, quest. 8).