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Fénelon. Elle tient une grande place dans toute la métaphysique de l’époque. Plus tard, elle a été mal comprise et repoussée; mais la philoso­phie de nos jours l’a de nouveau adoptée, et con­stamment s’en inspire. C’est donc à Descartes, et après lui à Malebranche, que nous devons rap­porter le principe de cette théorie, qui a exercé une si grande influence sur la philosophie du xvn° siècle, et qui semble appelée à en exercer une non moins grande sur la philosophie du xix".

La théorie de Descartes sur la substance et sur la conservation de l’univers a produit des résul­tats moins heureux:car elle a conduit une partie de son école à nier l’efficacité des causes secon­des et la personnalité humaine. Descartes ne nie pas positivement la réalité des causes secondes, il ne nie pas la liberté et la personnalité, il ac­corde à l’àme le pouvoir de diriger le mouve­ment; mais il y a dans les Méditations et dans les Principes quelques semences, comme parle Leibniz, qui, cultivées par des esprits exclusifs, doivent’produire ces conséquences. Bientôt, en effet, de la Forge considéra Dieu comme la cause directe et efficiente de tous les rapports de l’âme et du corps, qui sont indépendants de notre vo­lonté. Sylvain Régis, allant plus loin, nia que la volonté lut une cause véritable, et soutint qu’il fallait aussi rapporter directement à Dieu les actes que, par suite d’une illusion, nous avons coutume de rapporter à nous-mêmes. Geulinx admet que toutes nos idées, tous nos sentiments, sans exception, viennent de Dieu, qui les produit dans notre âme par une opération merveilleuse, au moment même où il produit certains mouvemants dans nos organes. Selon Clauberg, l’homme et toutes les choses de l’univers ne sont que des actes divins:nous sommes à l’égard de Dieu, ce que sont nos pensées à l’égard de notre esprit. Malebranche prêta à ces théories extrêmes l’au­torité de son génie et de sa piété, et il se plut à répéter que Dieu seul est la cause de toutes les modifications de notre âme, de toutes les idées de notre entendement, de toutes les inclinations de notre volonté, de tous les mouvements de notre corps ; que tout vient de Dieu et rien des créatures. Enfin Spinoza, qui avait répudié de l’héritage de Descartes la meilleure et la plus noble part, pour n’en conserver que les erreurs, Spinoza refusa le nom de substance à ces choses incapables d’agir par elles-mêmes, qui ne peuvent continuer d’exister qu’à la condition d’être con­tinuellement créées ; et comme il ne voyait dans l’univers qu’une seule cause, il ne reconnut qu’un seul être dont toutes les autres existences sont des formes fugitives. Leibniz même, qui avait si bien reconnu la source des erreurs de l’école carté­sienne, ne sut pas s’en garantir ; et, après avoir démontré l’activité essentielle de la substance, il refusa à ses monades tout pouvoir d’agir les unes sur les autres, et finit par l’hypothèse de l’harmonie préétablie.

Après avoir suivi les destinées philosophiques des principes de Descartes dans les grands sys­tèmes qu’il a précités, et qui, plus ou moins directement, ^ relèvent de lui, il faut apprécier l’action générale qu’il a exercée sur la société du xvne siècle, sur les hommes de génie, sur les grands écrivains de cette époque dont la philo­sophie n’a pas été l’étude speciale et la principale gloire. La doctrine cartésienne avait eu, dès son apparition, un immense retentissement, comme on en peut juger par les discussions qu’elle souleva d’un bout de l’Europe à l’autre. Les savants et les théologiens les plus illustres de l’Angleterre, de la France et des Pays-Bas, Hobbes, Gassendi, Arnauld, Catérus, le P. Bourdin, Henri Morus, etc., engagèrent avec Dcscartes même une polémique dont l’éclat rejaillit sur la nouvelle doctrine, et contribua à scs progrès. Pendant que les universités hésitaient, le carté­sianisme gagnait sa cause auprès des gens du monde. Il pénétra dans le Parlement et dans la magistrature, dans la congrégation de l’Oratoire et jusque dans la Sorbonne ; Descartes put même se vanter de compter parmi ses disciples une reine sur le trône, Christine, et la princesse Elisabeth, célèbre par la profondeur et l’étendue de son esprit. En 1650, année de sa mort, « il était le philosophe de tout ce qui pensait en France et en Europe. »

Mais bientôt les anciens maîtres de Descartes au collège de la Flèche, les jésuites, d’abord in­décis, s’alarment de l’esprit et des progrès de sa philosophie, et s’efforcent de la détruire. Ils ne se contentent pas des violentes critiques, des satires, des pamphlets de quelques-uns de leurs pères ; ils ont recours à la persécution. Grâce à leurs intrigues, treize ans après la mort de Descartes, ses ouvrages sont condamnés à Rome par la congrégation du Saint-Office, avec la formule adoucie du Donec corrigantur. Ils empêchent, par un ordre du roi, de prononcer l’oraison funèbre de Descartes dans l’église Sainte-Geneviève du Mont, au milieu du concours d’amis et de disci­ples qui s’étaient réunis pour célébrer, par de magnifiques funérailles, le retour de ses restes mortels en France. Excitée par eux, la Sorbonne, en 1670, sollicita du parlement de Paris un arrêt contre la philosophie nouvelle. Pendant quelque temps, il fut vivement question de remettre en vigueur ce fameux arrêt de 1624, qui avait été aussitôt abrogé que publié, et par lequel il était défendu, à peine de vie, de soutenir aucune opinion contraire aux auteurs anciens et approuvés. Mais l’arrêt burlesque par lequel Boileau tourna en ridicule la prétention du Parlement à maintenir, envers et contre tous, l’autorité d’Aristote, et un mémoire éloquent d’Arnauld, publié par M. Cousin (Fragm. phil., 3e édit.), prévinrent la condam­nation immédiate du cartésianisme.

L’avis des plus sages et des plus modérés pré­valut, et le Parlement ne rendit pas l’arrêt qui lui était demandé ; mais les jésuites ne se tiennent pas pour battus ; ils en appellent du Parlement au conseil du roi, qui, à leur re­quête, proscrit en France l’enseignement de la philosophie cartésienne. Conformément à cet arrêt, toutes les universités de France, et entre autres les universités de Paris, de Caen et d’An­gers, proscrivent la philosophie nouvelle et dé­fendent de l’enseigner, de vive voix ou par écrit, sous peine de perdre tous ses privilèges et ses degrés. En 1680, le P. Valois citait, devant l’as­semblée du clergé de France, Descartes et ses disciples comme des sectateurs et des fauteurs de Calvin. Tous les cartésiens furent un moment alarmés; Régis fut obligé de suspendre son cours à Paris. Chacun craignait de se voir exposé à la signature d’un formulaire et d’être excommunié comme hérétique (Recueil de pièces curieuses concernant la philosophie de Descartes). La congrégation de l’Oratoire veut d’abord résister, mais bientôt elle est obligée de céder et de subir un concordat qui lui est imposé par les jésuites, en 1778. par lequel elle s’engage à enseigner:1° que l’extension n’est pas l’essence de la ma­tière ; 2° qu’en chaque corps naturel il y a une somme substantielle réellement distinguée de la matière ; 3° que la pensée n’est pas l’essence de l’âme raisonnable ; 4° que le vide n’est pas im­possible, etc.

Alors la philosophie de Descartes eut de cou­rageux confesseurs, un siècle plus tôt elle aurait eu des martyrs. Parmi ses confesseurs, nommons le