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Quels qu’aient été les torts de Charpentier, on peut dire qu’il apportait dans ses discussions des qualités rares, un savoir étendu et précis, une méthode excellente, une parfaite justesse d’esprit à défaut de génie, et qu’il employait déjà les procédés d’une critique saine et forte, qui depuis a été rarement surpassée. C’étaient là des titres suffisants à l’attention de l’histoire, et l’on doit s’étonner que l’exact Brucker l’ait passé sous silence dans son grand ouvrage. Il y a fait figurer bien des noms qui ne valent pas celuilà.

Voici la liste des ouvrages les plus’remar­quables de Charpentier par ordre de dates : Des­criptio universœ artis disserendi ex Arislot. Organo collecta et in tres libros distincta, in-4, Paris, 1654 ; Animadversiones in libros 1res dialecticarum institutionum Petri Rami} in-4, ib. ? 1555 ; de Elementis et de meteoris, tra­duit de l’italien, in-4, ib., 1558 ; Disputatio de animo, methodo peripatetica utrum Arislot. mortalis sit an immortalis, traduit aussi de l’italien, in-4, ib., 1558 ; Descriptionis logicæ liber primus, in-4, ib. ; 1560 ; Descriptio uni­versœ naturœ ex Aristotele, in-4, ib., 1560 ; Artis analylicœ sive judicandi descriptio ex Aristot. Analyt. poster., in-4, ib., 1561 ; Compendium in communem artem disserendi, in-4, ib., 1561 ; Platonis cum Aristotele in universa philosophia comparatio quæ hoc commentario in Alcinoi institutionem ad ejus­dem Platonis doctrinam explicatur, in-4, ib., 1573. Cette édition contient plusieurs lettres et pamphlets contre Ramus, de 1564, 1566, 1569 et 1571. On attribue aussi à Charpentier la pu­blication de l’ouvrage apocryphe d’Aristote de la Métaphysique Égyptienne : Libri XIVqui Aristo­telis esse dicuntur de secretiore parte divinœ sapientice secundum Ægyptios ex arabico ser­mone, in-4, Paris, 1571.B. S.-H.

CARPOCRATE, originaire d’Alexandrie et chrétien de naissance, est le fondateur d’une secte philosophique et religieuse qui jeta un certain éclat dans le second siècle de notre ère. Il paraît avoir eu le projet de concilier le christianisme, non-seulement avec la philosophie orientale, mais aussi avec les principaux systèmes de la philoso­phie grecque, et, en particulier, avec le platonis­me, auquel il emprunta la théorie de la préexis­tence des âmes et de la réminiscence. Comme la plupart des gnostiques, il attribuait la création du monde à des génies inférieurs et malfaisants, au-dessus desquels il reconnaissait, comme prin­cipe suprême, l’unité que l’esprit peut atteindre par un mode supérieur de connaissance. Epipha­ne, fils de Carpocrate, compléta la doctrine mé­taphysique de son père par un système de morale dont le point de départ était la communauté de toutes choses : ce qui l’amenait à considérer les lois humaines comme des infractions à la loi di­vine, puisqu’elles ne permettent pas que le sol, les biens de la terre et les femmes soient com­muns entre les hommes. Ces détestables maximes firent imputer aux disciples de Carpocrate de hon­teux ex ès. Cependant saint Irénée déclare douter qu’il se fît parmi eux « des choses irréligieuses, immorales, défendues. » Voy. Gnosticisme. X.

CARTÉSIANISME. Nous donnons le nom de cartésianisme au mouvement philosophique qui s’est accompli pendant le xvif siècle sous l’in­fluence de Descartes. Nulle révolution philoso­phique, soit dans les temps anciens, soit dans les modernes, n’a été plus grande et plus féconde ; nulle n’a donné une plus sûre impulsion à toutes les branches des connaissances humaines ; nulle n’a suscité plus de systèmes, et entraîné plus de grandes intelligences. Mais est-il juste de donner exclusivement le nom de Dcscartes à cette révo­lution de laquelle est sortie la philosophie mo­derne tout entière ? Descartes en est-il bien le chef et le principal promoteur ? N’est-elle pas en grande partie l’ouvrage des philosophes du xve et du xvic siècle ? et Bacon ne peut-il pas aussi en revendiquer la gloire ? Il est vrai que dans le cours du xv“ et du xvie siècle la philosophie avait vu se succéder d’audacieux réformateurs qui sont les précurseurs de Descartes. Tous par des voies diverses, les uns par le péripatétisme, les au­tres par le platonisme et le mysticisme ; les uns avec une tendance empirique, les autres avec une tendance idéaliste, avec plus ou moins de talent et d’audace, ont préparé la ruine de la philosophie scolastique et de l’émancipation de la raison. Pomponace, Vanini suivent encore en ap­parence l’autorité d’Aristote, mais ils l’interprè­tent à leur manière ; François Patrizzi et Ramus s’attachent, au contraire, à Platon et font la guerre à Aristote ; Telesio, Giordano Bruno et Campanella rejettent également l’autorité de l’un et de l’autre, et entreprennent de fonder des systèmes sur la seule autorité de la raison. Enfin les grands mystiques de la même époque, tels que Paracelse, Robert Fludd, J. B. Van Helmont, entraînent aussi l’esprit, humain dans des voies nouvelles. La plupart de ces novateurs ardents ont même été martyrs de leurs généreux efforts pour conquérir l’indépendance de la pensée phi­losophique. Rien de plus vrai que ce portrait du philosophe de la Renaissance tracé par Pompona­ce : « La soif de la vérité le consume, il est honni de tous comme un insensé, les inquisiteurs le persécutent : il sert de spectacle au peuple. » Tel a été, en effet, le sort des malheureux précur­seurs de Descartes. La soif de la vérité les con­sume, et pour l’éteindre, leur esprit fougueux se précipite dans toutes les directions sans règle ni méthode. Leur vie est errante et agitée, les in­quisiteurs les persécutent, l’exil, la prison, les tortures, le bûcher, voilà leur lot et leur partage. Ainsi ont vécu, ainsi sont morts Ramus, Giordano Bruno, Vanini,’Campanella. Sans nul doute, tous ces intrépides martyrs des droits de la raison avaient déjà beaucoup fait pour l’émanciper et préparer les voies à une philosophie nouvelle, et cependant beaucoup restait encore à faire. Ils avaient, il est vrai, courageusement protesté contre le joug de la philosophie scolastique ; mais tous n’avaient pas osé ouvertement protester au nom de la raison, la plupart avaient invoqué seulement une autorité contre une autre autorité, Platon contre Aristote. ou bien le véritable Aris­tote contre l’Aristote défiguré des écoles. Ceux-là mêmes qui avaient protesté contre le principe de l’autorite, au nom de la raison, n’avaient pas élevé leurs protestations à la hauteur d’une mé­thode. Mais il importe surtout de remarquer qu’aucun d’entre eux n’avait encore produit un système qui renfermât une part de vérité assez grande et dont les parties lussent assez fortement liées entre elles pour aspirer à remplacer la phi­losophie scolastique et à dominer sur les intelli­gences. Toutes ces diverses tentatives de réforme philosophique plus ou moins incomplètes^ plus ou moins malheureuses, viennent aboutir a Des­cartes, qui achève et fait triompher la révolution philosophique commencée avec tant d’ardeur et d’héroïsme par les philosophes du xv· et du xvie siècle.

Nous ne nions pas que l’auteur de Vlnstauratio mugna ait rendu des services à l’esprit hu­main et à la philosophie moderne ; mais nous ne pouvons pas le considérer, avec quelques philo­sophes écossais et quelques philosophes encyclo­pédistes du xviii" siècle, comme le promoteur principal